Gus est âgé maintenant mais il n’a pas perdu la mémoire et c’est avec force détails qu’il raconte à un journaliste une sombre histoire de meurtre vieille de soixante ans. Patrick Pécherot situe souvent ses romans dans un contexte historique et politique précis (Commune de Paris, Guerre d’Espagne, Seconde Guerre mondiale) auquel les intrigues sont intimement liées. Ici, c’est la guerre d’Algérie quand l’OAS pourchassait les Algériens, quand les travailleurs immigrés en France payaient un impôt au FNL pour soutenir la guerre d’indépendance, quand de jeunes hommes désertaient pour ne pas tuer ou torturer.

En 1958, Gus travaillait dans le transport avec André, le propriétaire du camion qui leur permettait d’assurer des livraisons d’une ville à l’autre. Le bahut n’est plus tout jeune, les pneus sont lisses et la mécanique laisse parfois à désirer. Il est lui aussi  un personnage important du roman et la référence au Salaire de la peur (roman paru en 1950 et film en 1953 avec Yves Montand et Charles Vanel) n’est pas anodine. Tout en se relayant pour la conduite, Gus et André fument beaucoup et écoutent la radio. « Les informations ont coupé le sifflet de Line Renaud. Des fellaghas algériens avaient fait quatorze morts dans une patrouille française à la frontière tunisienne. André a lâché un truc à propos des Arabes et j’étais bien d’accord avec lui. […] Il fixait la route mais je savais qu’il regardait plus loin. Vers le djebel où le fantôme de son frangin crapahutait »

Même dans le Jura, les rapports entre Français et Algériens étaient tendus et, près de Dôle, on assiste à l’assassinat d’un Arabe pour des motivations guère plus claires que celles de Meursault dans L’étranger de Camus. « J'étais comme vide. Tuer un homme, c'est quelque chose. Les sentiments, les sensations, tout avait fui. Mon sang, même, un froid glaciaire à sa place. Je grelottais à ne plus contrôler mes mains. Vous avez déjà estourbi quelqu'un ? On voudrait retourner une case en arrière comme au jeu de l'oie. On voudrait rembobiner le film. On voudrait de l'impossible. Elle est terrible l'impuissance à le décrocher. Je me suis raisonné. Personne ne m'avait vu, personne ne saurait. »

D’autres personnages croisent la route de Gus et André. Le Citroën fait ce qu’il peut et les autoroutes n’existent pas, les arrêts sont nombreux dans les troquets et les restaurants de routiers y compris celui de Simone qui a un faible pour André et joue un rôle non négligeable dans cette histoire.
Et puis, il y a cet homme mystérieux qu’on voit dès les premières pages, qui aide Gus à charger le camion avant de disparaître mais qui réapparaît ici ou là, passe lui aussi chez Simone, dort dans une grange et marche en lisière des bois et des champs pour éviter les barrages que les gendarmes ont dressés un peu partout sans en donner la raison.
Plus loin, il y aura aussi Abderrahmane, perdu dans la forêt jurassienne, qui cherche à passer la frontière pour aller en Suisse.

C’est, comme toujours avec Patrick Pécherot, un roman d’atmosphère, où les détails sont importants pour nous immerger dans l’époque, où la langue à la fois populaire, imagée et poétique donne sa couleur au texte et dont l’intrigue se construit peu à peu tandis que des secrets se dévoilent pour éclairer les motivations des uns et des autres.

Le titre est expliqué au fil du livre. « Tout est hével / Voilà, tout est vain et poursuite du vent / Rien ne reste sous le soleil, dit l'Ecclésiaste. […] La Bible est un sacré bouquin. Je vous le recommande. On n'est pas volé. » Avec celui de Patrick Pécherot non plus et on ne peut que le recommander, de même que de se plonger dans ses précédents romans, parus en collection de poche, pour s’immerger dans d’autres époques, d’autres atmosphères, d’autres intrigues, qui de livre en livre construisent une œuvre singulière et originale. À suivre…

Serge Cabrol 
(16/05/18)