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Wilfried N'SONDÉ

Un océan, deux mers, trois continents


Né au Kongo en 1583 dans un village isolé Nsaku Ne Vunda, un  orphelin « précoce et appliqué, d’un caractère doux, les yeux grands ouverts à la détresse des autres » grandit harmonieusement avant d’être repéré par les missionnaires de Mbanza Kongo, la capitale du royaume, pour y poursuivre ses études. Il y restera jusqu’à son ordination sous le nom de Dom Antonio Manuel. Un prêtre noir apprécié puis remarqué qui sera choisi  pour ses qualités comme ambassadeur au Vatican auprès de Clément VIII à la demande du roi des Bakongos.
Un bateau est dès lors requis pour le conduire de l’Afrique au Vatican. Mais au lieu du transport d’ambassade initialement prévu, pour des raisons obscures et personnelles, le roi fait appel pour ce long voyage à un bateau commercial où l’ecclésiastique sera traité en hôte de marque sous la responsabilité personnelle du capitaine. Un changement qui vaudra au jeune prêtre d’être directement confronté à la traite négrière avec les esclaves sous ses pieds dans les cales du navire avec un détour par le Brésil, le Portugal et la Castille pendant plusieurs années d’aventures. Un interminable périple qui lui permettra de lier une relation amicale forte avec un jeune Français de l’équipage, fuyant sur le bateau la condition du servage paysan de sa famille et de faire quelques rencontres et découvertes déterminantes.
Quels que soient les contretemps et les dangers, le prêtre jamais ne se détournera de l’objectif de sa mission première de représentation confiée par son roi. Mais celle-ci se doublera au fil du voyage  de la responsabilité qu’il se sent d’informer le Saint-Père de ce commerce scandaleux d’êtres humains noirs et convertis pour une bonne part à la religion catholique afin que celui-ci condamne officiellement ce trafic inique et y mette fin.
Quand  parvenu à Madrid il apprendra que, Clément VIII et son éphémère successeur tous deux décédés, la chrétienté a été confiée à Paul V qui n’a jamais entendu évoquer ce projet de représentation africaine dans la cité papale, porté par son désir de justice il s’obstinera, par ses propres moyens, à gagner le Vatican...

La « Nigrita », une statue de marbre noir dressée à Rome en son hommage sera la seule trace que laisseront ce prêtre africain et son incroyable aventure.

C’est à la fois à un récit historique et à un roman d’aventures que nous convie ici Wilfried N’Sondé. 
S’il s’appuie sur une documentation solide, sur un personnage central ayant réellement existé et un voyage de plusieurs années admis par l’Histoire, l’auteur prend cependant plaisir à enrichir cette biographie de romanesque par le biais très africain de « la parole d’ancêtre ». Cela lui permet, loin  de refaire le récit traditionnel sur la traite des Noirs, d’aborder le sujet sur un angle nouveau. Ce que son héros naïf, un personnage noir ni esclave ni esclavagiste, pointe du doigt c’est l’importance des logiques sociales autant que raciales dans le phénomène du commerce des esclaves. 
« La couleur de peau en tant que facteur d'identification est quelque chose de récent dans l'histoire de l'humanité et le fait qu'un Noir puisse monter sur un bateau qui transporte des esclaves noirs sans être dans la cale, un Noir que le pape attend pour qu'il siège à ses côtés comme ambassadeur, m'a confirmé qu'en tout cas, au début du XVIIe siècle, on définissait les êtres selon leur position dans la hiérarchie plus que par leur couleur de peau », explique Wilfried N'Sondé.
Dans une société locale vivant en vase clos où les pratiques ancestrales légitimaient déjà le cadeau d’une autre personne pour usage domestique ou sexuel comme offrande aux puissants, la question pourrait se poser autrement. Pour Wilfried N’Sondé ces pratiques ne se sont pas construites dans une logique purement raciale mais se sont ancrées dans le rapport de classes entre de riches dominants et des pauvres sans droits qui préexistait avant que les chefs tribaux se fassent complices de la commercialisation des esclaves vers le Nouveau Monde. De même voit-il dans le système féodal du servage en vigueur en France un autre aspect de l’esclavagisme dans l’Europe de cette époque. Pour lui, le trafic négrier s’inscrivait finalement dans une pure logique économique et sociale pour les fournisseurs de chair fraîche face à des acheteurs venus faire leurs affaires.
Cette illustration d’un simple processus de rapport de forces politique entre la classe de ceux qui possèdent le pouvoir et l’argent, semblables à des loups, et leurs victimes, bêtes de somme démunies dans le rôle de l’agneau de la fable, chacun des acteurs de ce commerce cherchant à s’enrichir, à préserver sa paix et à établir sa puissance ou la confirmer, domine donc le roman.

Si le travail d’immersion historique de Wilfried N’Sondé est rigoureux et remarquable, c’est de sa forme même que le récit tient son efficacité. La narration romanesque des diverses aventures du héros, notamment les scènes sur le bateau, est de facture très classique. Elle immerge le lecteur dans l’histoire sur un mode humaniste mais aussi de manière distrayante et romancée à la façon d’un  Alexandre Dumas. Par ailleurs la personnalisation de Nsaku Ne Vunda, seul vecteur de cette restitution sensible à la première personne de cette sombre réalité qui se dévoile à lui, attache le lecteur à ce « héros » malgré lui,  témoin oublié d’un phénomène historique lourd de conséquences et de rocambolesques aventures. C’est cette intériorité, cette intimité avec cet homme de bonne volonté, naïf et déterminé, qui rendent le récit fort et crédible.      

Les nombreux dialogues bien que nourris d’une langue façonnée à l’aune du dix-septième siècle, aussi élégante et décalée aujourd’hui que facteur d’un effet narratif singulier, dessinent avec sensibilité non des figures mais des êtres humains pris dans leur épaisseur.
L’utilisation du passé simple constitutif de la langue classique dans sa beauté et sa précision ancre le roman dans son époque tout en légitimant la spiritualité comme champ d’investigation et de réflexion. Et pourtant ce roman-là, par son sujet et son parti pris, sait échapper à son contexte pour nous questionner autrement non seulement sur l’Histoire mais aussi sur nos sociétés contemporaines avec ses nantis et ses exclus. 
Wilfried N’Sondé né à Brazzaville en 1968, ayant grandi à Melun et étudié les Sciences politiques à Paris, a ensuite intégré le milieu underground Berlinois comme musicien avant de revenir en France pour se lancer dans l’écriture. Cela explique l’importance du rythme et des sonorités dans son écriture, avec une langue qui se déploie de façon particulière dans sa musicalité et sa subtilité à la lecture à voix haute. 

C’est dans la bibliothèque de son frère aîné, historien spécialiste des royaumes du Kongo, que l’auteur a découvert le parcours du personnage historique dont il a fait son sujet, trouvant aussitôt à travers lui « le moyen d'inventer le point de vue d'un Africain sur l'Europe ».  Une retraite chez les Bénédictins pour parfaire son personnage fera le reste. 
« Ce qui est fou, c'est que je suis invité en mars à Luanda à participer aux festivités du retour des cendres de Nsaku Ne Vunda chez lui, où il est méconnu » s’émerveille W. N’Sondé dans tous les interviews. De quoi le conforter dans sa décision de creuser le filon de l’Histoire pour son prochain livre.
Actuellement l’écrivain dans le cadre de ses études à la Femis travaille en parallèle à une adaptation de Fleur de béton, le roman qu’il a publié sur la banlieue en 2012.
270 pages passionnantes à dévorer sans modération.

Dominique Baillon-Lalande 
(05/03/18)    



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Lectures








Éditions Actes Sud

(Janvier 2018)
272 pages - 20 €



Babel

(Février 2020)
272 pages - 7,80 €








Portrait © Jean-Marie Reffle
Wilfried N'Sondé,
né au Congo en 1969, a vécu 25 ans à Berlin avant de s'installer à Paris.
Un océan, deux mers,
trois continents
est son cinquième roman.





Bio-bibliographie de
Wilfried N'Sondé
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