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Le roman se déroule à Plainview, une petite ville de l’Indiana, dans les années 60-70 autour de trois amies d’enfance afro-américaines maintenant sexagénaires et grand-mères pour deux d’entre elles. Mais la lutteuse, la mécène et la musicienne ne savent pas encore que la venue à Plainview d’El Walker, un bluesman invité par Forrest Payne cet octogénaire au costard jaune canari qui tient le Pink Slipper Gentlemen’s Club, pour animer son improbable mariage avec la bigote Béatrice, mère de Clarisse, va remuer bien des souvenirs, rouvrir des plaies mal refermées, bousculer les cœurs et donner à chacun l’occasion de faire la paix avec son passé...…. Ce trio de femmes fortes et belles saura assurément séduire le lectorat féminin qui appréciera leurs personnalités, leur complicité chaleureuse, leur combativité mais aussi le regard tendre, esthétique et parfois gentiment moqueur qu’elles portent sur leurs alter ego masculins. Les Suprêmes chantent le blues est un roman musical. Aux côtés de cette "musique noire" née dans les champs de coton à la deuxième moitié du XIXe siècle qui habite et transfigure tout le récit, une autre, dite "classique" car venue du vieux monde blanc, trouve ici place à travers les morceaux de Beethoven et de Mozart que répète inlassablement Clarice avant ses concerts. Cette coexistence pacifique entre les divers genres musicaux qui renvoie assurément à l’aspect multiculturel constitutif du pays, s’inscrit dans la ligne du non ségrégationnisme et l’exhortation au respect et à la tolérance qu’incarnent Terry, Odette, El ou Barbara Jean dans cette histoire. Qu’elle se fasse blues ou concertos, la musique réunit les hommes au-delà des générations, du genre, des frontières érigées entre les classes, les cultures et les couleurs de peau. Cette présence musicale forte dans sa double composante est peut-être aussi un clin d’œil personnel de l’auteur à la carrière de violoncelliste qui fut la sienne avant qu’il n’embrasse celle d’écrivain. La langue est très oralisée et le style s’anime de nombreux dialogues vifs et enjoués, n’hésitant jamais à introduire un bon mot, une situation truculente ou une image amusante pour alléger la tension quand l’émotion se fait trop forte. De même les bons sentiments et la tendresse latente mais aussi l’humour s’affirment et s’interposent pour temporiser la souffrance et la violence dès que le récit flirte avec le drame. La construction du roman est chronologique, avec un récit au présent nourri de fréquents retours sur le passé et repose sur une bipolarité classique entre Mal et Bien, Malheur et Bonheur. La part sombre, douloureuse et négative se retrouve cantonnée dans l’évocation du passé. Le présent du roman incarne l’espoir de guérison des blessures ou des cicatrices restées sensibles et la recherche du pardon. Les lendemains préfigurés en toute fin du roman augurent et consacrent en conséquence la réconciliation, la sérénité et le bonheur. Ce roman divertissant et porté par une philosophie positive parvient à éviter le piège des clichés et gagne en intérêt (voire pour nous en exotisme) et en épaisseur par ce qu’il nous dit de ce pays à la fois si semblable et si différent du nôtre. Par la présence forte et lumineuse de ses protagonistes et cette imprégnation sensible dans l’univers du blues qui lui donne toute son originalité et sa profondeur, il réussit également à nous émouvoir. Dominique Baillon-Lalande |
Sommaire Lectures Actes Sud (Juin 2018) 304 pages - 22,50 € Traduit de l'américain par Philippe & Emmanuelle ARONSON
Pour visiter son site : www.edwardkelsey moore.com |
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