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Le roman débute par une scène fascinante et brutale : « Le goéland tournoyait au-dessus des rochers à la recherche de son déjeuner. De son œil perçant, il avisa quelque chose qui émergeait du maquis et piqua droit dessus. Avant d’attaquer, il hésita pourtant. La forme était humaine [...] Des vêtements déchirés jaillissait un bout de chair. L’odeur du sang séché affola ses sens. [...] L’attaque fut brève, trois coups plantés dans la jambe aussi raide qu’un tronc. Le goût du sang l’enivra et il récidiva jusqu’à ce que la jeune fille se redresse enfin, menaçant d’une pierre son manteau argenté. Dans un cri terrifiant, l’oiseau prit son envol loin de la furie, cheveux courts, teint livide et membres ensanglantés, à qui sans le savoir il venait de redonner vie. » La proie s’appelle Jeannette et c’est l’héroïne du livre. Le scénario se construit sur l’entrelacs de deux temporalités. Dans la deuxième scène un producteur célèbre et ami lui confie la recherche d’une "perle rare" pour le premier rôle de La Femme de dos de Telo Ruedigger, un photographe d'art mondialement célèbre pour ses provocations et dont personne ne connaît le visage. Les œuvres de l'artiste dégagent un grand pouvoir émotionnel et bouleversent particulièrement la casteuse qui croit voir dans l'un des clichés du dossier comme un écho à celui que Tristan à pris d’elle autrefois. Pas question cependant pour la casteuse d’abandonner la quête du visage nouveau et différent attendu par Telo. Le temps presse et déjà le producteur s’impatiente. Elle ratisse consciencieusement la ville de Toulon et ses environs. C’est grâce à une panne au péage de l’autoroute qu’elle croise Charline, une employée qu’elle s’imagine pouvoir être cette "perle rare" incarnant La femme de dos. Elle lie connaissance, obtient son adresse, tente de l’apprivoiser mais devine vite que l’acceptation enthousiaste qu’elle obtient d’habitude lorsqu’elle propose un rôle n’est cette fois pas gagnée d’avance. La toute jeune femme, plus pragmatique que rêveuse, reste méfiante et n’a pas les mains libres. Elle veille au quotidien sur une mère brisée par son patron et dépressive. Jane persuadée qu’elle a trouvé avec elle la candidate idéale, s’obstine. Elle alterne séduction et propos rassurants pour que Charline accepte de tenir le rôle proposé, seule occasion pour la casteuse de rencontrer ce Telo qui pourrait contre toute vraisemblance être cet amour de jeunesse perdu et enfin retrouvé. Mais qui cherche à effrayer Jane avec des messages malveillants bombés sur les murs d’enceinte de la propriété ? Quelle est cette présence qui semble la surveiller ? Pourquoi ? Qui est ce nageur qui traverse la baie chaque jour comme le faisait Tristan ? Alice Moine, chef monteuse pour la publicité et le cinéma, choisit d'installer son intrigue au cœur de cet univers professionnel dont elle connaît de près tous les rouages. Outre l’ancrage dans le réel que cela donne au roman, c’est pour le lecteur peu au fait des coulisses de l’élaboration d’un film riche de renseignements. Cela s’illustre aussi par le caractère très cinématographique des scènes et de leur enchaînement, par des dialogues parfaitement maîtrisés et des descriptions très visuelles. Les références culturelles contemporaines émaillent le roman et en arrière-plan c’est ici l’image, la photo et les apparences que l’auteur questionne. L’amour est aussi au rendez-vous. Le manque d’amour maternel, celui de la magnifique et généreuse Souad à laquelle le lecteur s’attache et sur qui il aimerait en savoir plus, et surtout ce lumineux amour de jeunesse avec Tristan qui en disparaissant de façon brutale et non expliquée a laissé dans le cœur de l’héroïne un éclat de verre. Enfin, en clin d’œil au cinéma peut-être, le surprenant happy-end amoureux que l’auteur nous concocte ajoute au récit comme un goût de romance. Mais derrière cet aspect sentimental, ce livre truffé de mystères et de rebondissements avec un mort, un obsédé sexuel et quelques trafics assez médiocres, s’apparente surtout à un polar habilement mené qui se plaît à égarer son lecteur sur des fausse pistes et entretient le suspense jusqu’aux dernières pages. Un roman efficace où la tension, l’émotion et le plaisir sont au rendez-vous. Dominique Baillon-Lalande (28/05/18) |
Sommaire Lectures Serge Safran (Février 2018) 352 pages - 19,90 €
Découvrir sur notre site le précédent livre d'Alice Moine : Faits d'hiver |
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