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Dans cette famille ouvrière des années quatre-vingt, dans une banlieue pavillonnaire australienne, un seul salaire ne suffit pas. Gavin, le père, travaille dans une raffinerie à l’entretien des machines et Paula, la mère lourdement asthmatique, dans une résidence de personnes âgées. Le couple a deux enfants : l’aîné, Robby, autonome et silencieux, qui fait ce qu'il peut pour s'occuper de son jeune frère dont il partage la chambre et soulager leur mère voire la protéger et Jimmy, avec ses six ans de moins et un syndrome autistique qui rend la vie familiale difficile au quotidien. Enfermés dans un cercle infernal tous souffrent et font souffrir les autres. La fuite seule changera la donne. Celle de Robby en premier. Une fois atteint l’âge adulte, lassé par la violence du père et la soumission de la mère, celui qui depuis toujours rêvait d’ailleurs a quitté la maison pour le grand large. « Une partie de lui avait déjà mis les voiles. J’essayais parfois de la récupérer, mais ça ne servait à rien. Le monde était là, devant lui, il attendait. » a compris Jimmy. La tension quand Gavin licencié à la fermeture de l’usine s’est retrouvé au chômage s’est épaissie et, après une soirée plus violente encore qu’à l’ordinaire, c’est alors à son tour de s’évaporer dans la nature sans laisser d’adresse.
C’est le regard de Jimmy qui porte le récit, de façon brute et naïve. Sur plusieurs années, il raconte la vie familiale avec ses moments fugaces de bonheur, d'espoir et d'apaisement, ses difficultés et ses épisodes dramatiques, avec l’obstination de la mère à tout accepter comme normal et la violence du père ayant trouvé dans l’alcool son seul refuge. Mais au-delà de ce tableau d’une famille qui se délite c’est aussi lui-même et sa perception des autres et du monde qui l'entoure qu’il nous dévoile. Le roman aurait pu sombrer dans le misérabiliste sans l’observation aussi affûtée que décalée de ce narrateur singulier qui à travers ses remarques, ses angoisses et ses questions mais aussi son ressenti nous permet d’explorer de l’intérieur, avec émotion et finesse, l’univers émotionnel d’un enfant autiste, les rouages et les connections étranges de ses pensées. Au-delà, c’est aussi la question de la prise en charge de cette maladie dans nos sociétés qui affleure, de l’avenir de ces enfants de milieu social modeste comme ici ou non pour lesquels l’enfermement et la camisole chimique restent souvent la seule possibilité quand la famille a épuisé toutes ses réserves de patience. Mais le jeune narrateur n’est pas le seul à s’imposer ici. La "mère courage", victime consentante prête à tout pour son petit est une figure paradoxale aussi héroïque et généreuse qu’aveugle, possessive et maladroite. À côté d’elle ce père, cet homme démoli par le travail et détruit par cette maladie qui fait de son fils un étranger et un rival dans le cœur de sa femme, malgré ses excès et sa violence, conserve sa part d’humanité et parvient dans son désespoir et son impuissance à nous émouvoir. Robby, solidaire et empathique mais aussi doté d’une solidité et une énergie personnelle qu’il tire de sa passion pour le grand large, est quant à lui un personnage solaire. Les scènes où il apparaît, que ce soit avec sa mère, Jimmy ou leur père fait entrer un peu d’air dans cet enfermement mortifère. Enfin, l’oncle bienveillant du bord de mer puis, plus avant dans le roman, une fillette et un adolescent déglingué un peu plus âgé parvenus à intégrer le monde de Jimmy comme amis, représentent ces autres qui, comme de petites lueurs d’espoirs, outre le fait d’être des instruments notables du dénouement, permettront au gamin d’apprendre à dompter ses émotions, à assumer ses sentiments et à grandir. Une écriture classique et efficace qui joue judicieusement d’images et de scènes quasi cinématographiques que l’enfant décode de façon fantaisiste et surprenante ayant pour effet secondaire de détendre l’atmosphère quand elle devient trop lourde et de renforcer l’étrangeté et le pouvoir émotionnel décalé que Jimmy apporte à son récit. Sofie Laguna, actrice, nouvelliste et auteur pour la jeunesse née et vivant à Melbourne, nous offre ici un roman brutal et tendre, fort et lumineux sur l’altérité et la souffrance. Son premier roman, One foot Wrong (2008), est en cours d’adaptation cinématographique et Cette lumière que je vois a obtenu le prix Miles Franklin à sa sortie australienne en 2015. Dominique Baillon-Lalande (13/06/18) |
Sommaire Lectures Actes Sud 368 pages - 22,80 € Traduit de l'anglais (Australie) par France CAMUS-PICHON
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