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Lars KEPLER


Le chasseur de lapins


Nous connaissons ces auteurs et leur capacité à emmener les lecteurs dans des structures mentales complexe et à faire monter la tension très régulièrement. Nous avons également pu constater dans leurs précédents romans que les personnalités des policiers sont fouillées, leurs actes déterminés bien analysés, et les parcours des criminels ou dangereux psychopathes, quant à eux, lentement révélés. Mais, et c’est là le talent du couple de romanciers, sans altérer le suspense ou la ligne dramatique, soit pour nous préparer à une surprise finale, soit pour entériner notre déduction (peut-être avait-on commencé à comprendre ?) ils l’accentuent, ou la détournent au dernier moment ! Très fort !
Et si une forme de déterminisme semble être suggérée, il faut peut-être faire attention… Le mal, ses causes, ses effets, avec et autour des êtres bouleversés, atypiques, maltraités ou maltraitants, est très bien exploité. Convaincant par le professionnalisme de ses auteurs, et par celui des protagonistes de l’histoire !
Voilà le sous-bassement solide et constant de tous les romans de Lars Kepler. Et Le chasseur de lapins ne va pas échapper à la règle !

Ce Vendredi 26 août, comme le précise le titre du premier chapitre, le ministre des affaires étrangères, est assassiné au cours de ses ébats sado-maso avec une prostituée occasionnelle : « Sofia sent des gouttes chaudes éclabousser ses lèvres puis voit la cartouche vide rebondir sur le sol. Un nuage gris a envahi la cuisine. Wille s’écroule, mort, comme un sac rempli de morceaux de bois et de tissu mouillé. »
Sofia, la jeune prostituée, blessée, est témoin du meurtre mais l’assassin, masqué, ne la tue pas. Bien que très choquée, elle finira cependant par donner quelques indices à la police. En l’occurrence à Saga Bauer, l’inspectrice de la Sapö dont nous avons pu apprécier la détermination et l’efficacité lors de précédents romans de cet auteur. Ainsi qu’à l’inspecteur Joona Linna, avec qui Saga a travaillé par le passé. Joona Linna est actuellement en prison dans un quartier de haute sécurité. La police, dans un premier temps, privilégie la piste terroriste et, supposant qu’il a pu avoir un contact avec le milieu en question, n’hésite pas à recourir à ses talents. Il parvient, en effet, avant sa « permission de sortie » à obtenir un nom qui pourrait le mettre sur une piste. Car les agents de la Säpo ont constaté que « Tout confirme l’image d’un criminel on ne peut plus professionnel. Il n’a laissé aucune empreinte digitale, aucune trace biologique, il n’a abandonné aucune balle sur les lieux, aucune douille, et il est invisible sur les vidéos des caméras de surveillance. ». Très vite, un autre personnage du monde de la politique est assassiné et cet assassinat présenterait quelques points communs, dans son déroulement…
Joona Linna va alors retrouver Saga, son ancienne partenaire.

Entre-temps, nous allons remarquer plusieurs personnages intéressants, et notamment Rex Müller, cuisinier médiatique, qui est justement sollicité pour parler à la télévision de son ancienne amitié avec le ministre assassiné. Son partenaire et coach, le jeune David Jordan qui est proche de lui, et son fils Sammy, avec qui il essaie de renouer une relation quelque peu distendue. Viennent ensuite dans l’histoire, une ancienne amie de Joona, horticultrice. Et puis quelques personnages que Joona doit contacter ou observer. Ont-ils un lien ? Sont-ils des éléments déterminants ?

Après la description que Sofia parvient à faire de la manière dont le tueur a abattu sa victime, Joona en déduit que c’est quelqu’un d’entraîné, d’organisé et que le but qu’il poursuit doit être bien précis. Après la découverte d’autres crimes, une sorte de rituel semble également apparaître : la victime doit bien comprendre la raison de la durée de son agonie et avant de mourir entendre une comptine où il serait question de lapins…

La piste terroriste demeure et des actions sont alors menées... Mais, « Pour la Sapö, l’absence de terroristes n’a aucune espèce d’importance […] Et comme les hommes politiques ne peuvent pas avouer un tel gaspillage d’argent public, l’intervention est considérée comme un succès. »
Les policiers, sont eux-mêmes en porte-à-faux : « C’est le comble de l’ironie : Saga Bauer et lui essaient d’élucider des meurtres mystérieux main dans la main, alors que leurs missions respectives sont diamétralement opposées : elle est supposée tout couvrir et lui, tout dévoiler. »

Mais les crimes continuent et Joona en déduit alors que « Le criminel auquel la police à affaire porte en lui une colère qui, à un moment donné, le fait basculer du mauvais côté et commencer à tuer ceux qu’il tient pour responsables ».

Certaines pages vont nous permettre de savoir ce que pense ou fait ce criminel, ce « Chasseur de lapins », mais sans pour autant soulever le moindre indice quant à son identité, bien cachée derrière sa cagoule. « Il sait qu’il ne doit pas céder à la colère, qu’il ne doit pas montrer le vilain visage, même lorsqu’il est tout seul. »
Nous découvrons cela petit à petit, sans que l’on puisse deviner ses motivations. De plus les actions de la police officielle vont se trouver parfois en contradiction avec les intuitions de Joona ou avec celles de Saga qui, elle aussi, poursuit ses propres pistes tout en les partageant avec son ami. D’un crime à l’autre, émerge une remontée dans le passé. Certaines des victimes se seraient connues au lycée !

Alors, bien sûr, c’est l’écriture – qui n’hésite pas à montrer avec force détails, certaines scènes afin de les rendre bien visibles – et la maitrise parfaite de la construction dramatique qui tiennent en haleine les lecteurs jusqu’à la fin. Mais c’est aussi cette finesse dans l’interprétation des comportements des êtres, qu’ils soient victimes, assassins ou policiers, qui donne à ce roman sa pleine densité. C’est fort, et c’est parce que nous sommes maintenus tout au long de ces pages, comme penchés au-dessus d’un abîme, que notre plaisir s’épanouit autant !
Du grand art, une fois de plus !

Anne-Marie Boisson 
(24/05/18)    



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Noir & polar








Actes Sud

(Avril 2018)
576 pages - 23,80 €

Babel
(Octobre 2021)
656 pages - 9,90 €



Traduit du suédois par
Lena GRUMBACH









Lars Kepler
est le pseudonyme du couple d'écrivains Alexander et Alexandra Ahndoril. Mariés dans la vie, ils ont écrit plusieurs romans chacun.