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Paule DU BOUCHET


68 année zéro


En ce mois de mai Maud, seize ans, ne pense plus qu’au bac qui approche quand la révolte étudiante éclate dans les rues du Quartier Latin où elle habite avec sa mère. L’adolescente commençait à s’intéresser aux garçons, à la vague yé-yé, à Sylvie Vartan et aux Beatles quand les premiers actes de rébellion ont démarré à l’université de Nanterre pour revendiquer « la réorganisation de la hiérarchie entre professeurs et étudiants ». De manière générale, ils dénonçaient « tous les rapports de domination qui existaient dans la société [...] tous les systèmes hiérarchiques qui donnaient du pouvoir à un homme sur d'autres. Au patron sur les ouvriers, au professeur sur les élèves, au chef de bureau sur les employés, au père sur la mère, au médecin sur le malade. » Mais, en pleine révision et en l’absence de télévision chez elle, Maud n’en savait pas grand-chose. Quand les ouvriers rejoignent le mouvement, que la capitale se met en colère et se hérisse de barricades en bas de son immeuble, pour la toute jeune fille qui assiste, en spectatrice des premières loges, au mouvement populaire et aux affrontements avec les cris, les explosions et les bombes lacrymogènes, tout bascule.
Mais grâce à sa mère qui apporte en soutien des repas aux étudiants occupant la Sorbonne, à un de ses amis professeur en fac fortement engagé qui  lui offre pour ses dix-sept ans sa première radio, à son frère aîné quand il passe en coup de vent et à son proche cousin Nico, Maud va enfin vivre de près cette incroyable période de liberté de parole et de violence et son rapport à la vie et au monde s’en trouvera, à l’unisson de toute sa génération, élargi et profondément changé. « En mai, on s’était tout à coup mis à exister différemment, mais on ne le savait pas encore. [...] On n’arrêtait pas d’écouter, de parler, de se réunir, de faire des manifs, des barricades, des meetings. De lire, de rire, de tomber amoureux, de ne plus interdire, de comprendre, d’expliquer. De faire la grève, de sourire à des inconnus, de s’engueuler. [...] Tout pétait à l’extérieur et à l’intérieur de nous, dans les rues et dans nos têtes. [...] Tout se disloquait, tout était à reconstruire. » Maud repense alors aux paroles de son prof de philosophiepeu avant la fermeture du lycée : « Les dialogues de Platon ça se passait comme ça. Ça servait à avancer. »
« Mai 68 ne s'était pas arrêté en mai. Ni en juin. Quelque chose avait continué à faire son chemin. En chacun de nous. »

Ce roman autobiographique à la première personne nous restitue les événements de Mai 68 en France à travers le regard d’une adolescente parisienne assez naïve spectatrice de la profonde remise en cause d’une société sur laquelle elle ne s’était jamais interrogée. En compagnie de sa mère, ancienne communiste et bibliothécaire à l’université de Censier, et d’Avram, ce prof de sociologie dont Maud devine vite qu’il est pour elle plus qu’un ami, elle est plongée dans l’agitation et le foisonnement ambiant avec les assemblées tenues à la fac, les discussions animées dans l’appartement envahi de militants et les slogans criés lors des manifs ou taggés sur les murs, se retrouvant confrontée pour la première fois à la politique et la remise en cause de l’ordre établi. À défaut d’informations, l’adolescente n’ayant pour étayer sa vision du monde que le bagage fourni par ses enseignants ne savait alors que peu de chose sur la guerre du Vietnam et ne connaissait qu’à peine le nom de ces figures historiques comme le Che, Fidel Castro, Mao, Trotski ou Martin Luther King, qui émaillent les échanges auxquels elle assiste maintenant.
Dans la violence et l’euphorie collective, c’est une immersion brutale dans ce monde des idées, des rêves et de la revendication des libertés (d’expression, sexuelle et de choix de vie), de la solidarité mais aussi la découverte du poids du pouvoir, du capitalisme matrice de la société de consommation et de la guerre, qui s’imposent à elle. Du haut de ses seize ans, elle ne comprend pas tout mais découvre les vertus du débat et ressent soudain cet espoir d’une société  plus juste et plus libre à portée de main de ceux qui collectivement s’engagent et se battent avec joie et ferveur  pour l’obtenir.
C’est cette belle leçon de vie, cette fulgurante initiation de l’ado naïve qui devient touchante et drôle quand elle dit son émoi amoureux pour le jeune et charismatique "Dany le Rouge" ou sa découverte lors d’une manifestation de ce monde ouvrier alors inconnu d’elle qui l’effraye un peu, que nous livre ici sans ambition documentaire mais avec sensibilité l’auteur.

Face à la restitution si souvent réductrice de cette période dont certains n’ont retenu que la liberté sexuelle, le désordre et la violence, rappeler aux adolescents d’aujourd’hui que 68 c’était aussi le refus d’une société sclérosée et anesthésiée par l’embellie économique, un combat solidaire entre travailleurs et étudiants pour des relations moins hiérarchisées et plus égalitaires, le rêve d’un monde où l’imagination serait au pouvoir, où l’être l’emporterait sur l’avoir et la marchandise, est une salutaire initiative. Dire que le débat, l’engagement et la lutte sont les ingrédients  de la démocratie également. « Les idéaux se conquièrent parfois dans l’affrontement. »

Paule du Bouchet, avec ce roman qui réjouira les jeunes de plus de quatorze ans et ravivera peut-être de lumineux souvenirs chez ceux qui avaient leur âge lors des événements cités, dans ce récit qui mêle avec émotion et vitalité l’intime aux événements devenus historiques, restitue avec justesse l’atmosphère de toute une époque et le cri de révolte d'une jeunesse qui, cherchant la plage sous les pavés, se battait pour un monde neuf à la hauteur de ses rêves.

Dominique Baillon-Lalande 
(07/06/18)    



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Jeunesse







Gallimard

Collection Scripto
(Avril 2018)
208 pages - 9,90 €











Paule du Bouchet,
éditrice chez Gallimard, a écrit de nombreux livres, surtout pour la jeunesse.


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