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Ce roman choral se partage entre deux territoires : la bande de Gaza où vivent Nadr et son frère nommé Khalil et la France, pays d’Amandine et Fernando. Nadr, l’aîné, a toujours protégé son frère né quand il avait dix ans, plus encore depuis la mort de leurs parents sous les bombes d’un raid aérien. Pour les nourrir, il aide son ami Jalil au garage ou travaille au restaurant de son oncle en cas d’affluence. C’est un pacifiste, qui fuit les violences et le blocus porteur de la misère qui fait leur quotidien, veut encore croire en un avenir possible et cherche à donner du sens à sa vie avec la poésie. Celle de Mahmoud Darwich en particulier. Loin d’eux, Fernando, analyste au "Fonds", (clone du FMI) étudie les dossiers d’attribution des aides à la population des pays en guerre. C’est un fonctionnaire consciencieux dont la qualité du travail est reconnue et appréciée mais qui, suite à un changement de direction et de méthodes, se trouve déstabilisé. Quand un matin l’agent zélé, qui depuis son embauche avait une clause morale avec son ancien patron pour que les dossiers concernant le Moyen-Orient soient pour raisons personnelles confiés à d’autres collègues, voit un dossier «Palestine» sur son bureau, il se cabre. Mais devant l’impossibilité de faire accepter son refus il finit non sans angoisse par s’exécuter, tentant de retrouver dans la poésie qu’il fréquente depuis toujours au quotidien un équilibre suffisant pour mener sa tâche. Une pratique qui n’empêchera pas l’agent, l’époux et père de famille tranquille de s’isoler chaque jour davantage et de s’effondrer lorsqu’il devra se rendre en Palestine pour étudier l’impact réel des subventions versées. Son entretien avec le président palestinien replacera avec cynisme le conflit israélo-palestinien dans son contexte international sans lui apporter les réponses chiffrées qu’il était venu chercher. Et il n’est pas au bout de ses surprises. Peu à peu de vieilles histoires familiales ressurgissent révélant des liens jusqu’alors inconnus et invisibles entre ces différentes figures. Tout s'imbrique jusqu’au dernier tableau… Si ce livre sur l’itinéraire d’un terroriste sur fond de conflit israélo-palestinien s’inscrit bien évidemment dans une démarche d’analyse géopolitique, il ne s’arrête pas là. À travers l’itinéraire de ces quatre personnages c’est aussi l’escalade universelle de la violence et le chaos dans lequel notre monde se précipite instrumentant les populations et générant aveuglément son lot de victimes que Cyril Dion illustre. C’est sa révolte face à cette fatalité et cette injustice qu’il souhaite nous faire partager. Et si Khalil a choisi la vengeance et la mort, les autres mettent toute leur énergie à chercher le chemin qui leur permettra d’échapper au noir destin qu’on a tracé pour eux. Chacun, face à la souffrance, aux luttes de territoire ou de religion, se lance dans une tentative désespérée de se libérer de ses chaînes pour pouvoir enfin devenir acteur de son existence. « Chacun d'entre nous vit avec sa propre prison, plus ou moins large. Et fait ce qu'il peut pour en sortir… » Les personnages secondaires qui ne font que traverser le roman comme Jalil, le garagiste, Ali l’Égyptien qui a perdu un fils dans un attentat au Caire et aidera Nadr à passer à Marseille, sa fille, la communauté de bédouins qui dans le désert sauve Fernando, sont, par leurs paroles ou leurs gestes, des éléments positifs. Ce sont de belles âmes qui en contrepoids à la noirceur de ces destins brisés insufflent dans le récit une lueur d’espoir et une chaleureuse humanité. Enfin, à travers les personnages de Fernando et Nadr, ce livre dit aussi la littérature et la poésie comme une bouée face à la tempête et les mots qui sauvent ou du moins apportent la lumière dans l’obscurité. Ce premier roman qui sait tisser les cris des victimes et la fureur du monde avec la beauté, la poésie et l’humanisme, recèle, au croisement de la réflexion et de l’émotion, une profondeur, un élan, une sensibilité et une générosité qui ne peuvent laisser le lecteur indifférent. Dominique Baillon-Lalande (10/01/18) |
Sommaire Lectures Actes Sud (Août 2017) 224 pages - 19 €
sur le site de l'auteur : www.cyrildion.com |
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