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Jean-Pierre CHAMBON

L’écorce terrestre


Ce recueil avec huit poèmes nous entraîne dans des espaces et paysages perçus et embrassés par le regard du poète pour en faire jaillir les correspondances avec ses sensations et son état intime.
Ainsi, sous nos yeux, « la barque aveugle à la dérive oscille avec le vent, avec la vague et les ombres ballottées » tandis que « l’obscurité à travers le miroir dépoli monte des profondeurs de la mer » (La cendre, l’écume).
La méduse se transforme en « un visage de gorgone sous la cagoule du bourreau » (Œil de méduse)
On pénètre un champ de tournesols dont «les fronts casqués d’or s’entrechoquent mollement pour se fondre peu à peu en la même dure lueur » (Champ de tournesols, embrasements et ténèbres).
Plus loin « les bruits ne font que rendre au silence sa pleine mesure » dans cette friche industrielle « où gisent les restes d’appareils monstrueusement démantibulés... l’épave d’un navire englouti à la carcasse brisée... une usine coulée à pic » (La poussière, le silence).
Et face aux ruines suintant encore la sueur des hommes au travail, l’enfance, dans un dernier élan, refait surface avec, comme un écho plus léger, ce bonhomme de neige qui s’éboule « dans le peu de réalité qui en amortit la chute » sous des « fantômes d’oiseaux qui picorent le ciel » (Bonhomme de neige s’effondrant). 
Le poème titre, nettement plus long que les autres, placé à l’exact milieu du recueil, se découpe en deux séquences : après s’être aventuré dans la « nudité âpre » de la montagne calcinée, ce paysage « d’avant l’humain » dans « l’étendue désolée du désastre, jusqu’au bout de l’effacement », une « madone au bois dormant », « une nymphe gisante » s’esquisse telle une apparition dans un nid de broussailles.

L’être humain dans cette nature réelle ou transfigurée restituée ici dans sa sensualité la plus profonde a pris place depuis des siècles, la vénérant, se mesurant à elle ou se laissant guider par son désir de la façonner à ses besoins jusqu’à la défigurer. Et c’est à la fois ce paysage né de la main de l’homme et sa permanence originelle qui font écrin au poète dans sa tentative de transcription poétique, dans cette lutte avec les mots et la langue pour saisir l’insaisissable de sa beauté et ses blessures en résonance avec les sensations, les questionnements et les sentiments qu’elle a fait surgir en lui.

L’écorce terrestre est un livre furtif fait d’ombres et de lumière, d’absence et de traces, de silence, de fulgurances, de brume porteuse de mystère, qui s’installe à la frontière du visible et de l’invisible.
Si cette atypique introspection poétique est d’une lecture parfois complexe avec des passages plus rétifs à livrer leur sens dans l’immédiateté que d’autres, le foisonnement d’images d’une précision presque photographique, le recours fréquent au registre lexical de la sensualité, la fluidité de la langue portée par un rythme à la lenteur et la régularité hypnotiques, produisent chez le lecteur qui sait lâcher prise pour se laisser porter par la musique des mots et séduire par l’atmosphère mystérieuse de cet univers, un étrange plaisir fait de connivence et de trouble.

Un beau moment de littérature, un recueil à picorer à l’envi puis à relire de façon continue pour en déguster toutes les saveurs.

Dominique Baillon-Lalande 
(27/02/18)    



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Poésie








Le Castor Astral

(Février 2018)
144 pages - 14 €









Jean-Pierre Chambon,
né en 1953 à Grenoble, a étudié la philosophie avant de devenir journaliste. Il a publié une vingtaine de livres essentiellement dans le domaine de la poésie.