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Eva-Maria BERG

Tant de vent négligé


Prête-t-on attention au vent lorsqu’il balaye la terre et emporte au loin les empreintes qui s’y étaient tracées ? Que voit l’oeil posé sur la mer, qui inlassablement dessine et redessine le contour de sa frontière avec le sable ? Les poèmes d’Eva-Maria Berg ouvrent des espaces où entendre le murmure des choses, celui qu’on perçoit parfois dans la solitude d’un matin passé à la fenêtre. Est-ce leur souffle discret que l’on néglige, celui où se tapit le secret de notre présence au monde ? Figures furtives, à peine visibles, des silhouettes se laissent entrapercevoir, derrière un rideau, comme pour mieux souligner la mystérieuse ampleur du monde, où nous ne faisons que passer, avant de nous effacer, tels des grains de sable.  « combien de bleu / supporte l’oeil / sans se noyer / ou se disperser / dans l’air ». Comme si l’œil, cœur du regard, était voué à se décentrer, à se diluer, aspiré dans l’immensité qu’il contemple, là où s’abolissent les limites entre soi et l’être des choses.  Face à face d’une conscience confrontée à une sorte de silence cosmique, sculpté en creux à travers les éléments, ce vent que l’on néglige, la mer où se mire le désert, ces poèmes disent une traversée quasi spirituelle. Ici, dans la demeure des « hommes incapables de voler », l’épaisseur de la chair est vaincue par la sécheresse d’un végétal réduit à ses épines et la peau a la fragilité des étoffes que ballottent les airs.  Les navires ont pour seuls passagers ceux qui se sont échoués et ce guide qui « quitte le bateau / à force de recueillir des / histoires naufragées ». Passé et présent habitent les mêmes lieux, en des strates superposées. « sur combien de couches / d’humanité / a-t-on bâti nous / collons l’oreille / au sol / bouleversé » Car si ces immensités semblent solitaires, le sentiment de l’autre n’en est pas moins très présent, comme dans le poème intitulé « Almeria ». « la richesse autrefois / aujourd’hui ricoche / dans des cabanes tant de / dieux un christ allah ». Le sort des saisonniers clandestins qui travaillent dans des serres couvertes de plastique est de « végéter au lieu de vivre / récolter en cachette ». Et d’autres passent à côté d’eux sans les voir. Eva-Maria Berg laisse émerger un univers épuré où s’étirent des formes dépouillées, parfois éclatées. « devant la fenêtre vole / un chapeau sans tête / le plumage convient aussi / à des chaussures sans pied » Ces touches oniriques viennent alléger la gravité, rappelant l’Eden, « une palette de tubes / bariolés comme si les / couleurs ne finissaient jamais »  La poète souligne aussi maintes fois la présence des mots intimement rivée au cœur de ces paysages. « jouer / avec la langue / pour ne pas la perdre », écrit-elle dans le poème qui ouvre le recueil.
Sans doute pourra-t-on ajouter que ce jeu avec les mots et leurs couleurs est aussi pour l’humain un salut, celui par lequel il évite lui-même de se perdre dans les étendues d’une terre gaste. « as-tu les yeux ouverts / face à toute angoisse et / tout l’espoir d’une demeure / au moins dans le texte ».
Ces poèmes nous sont donnés dans une belle édition bilingue allemand et français. Max Alhau les a traduits avec la poète.

Cécile Oumhani 
(11/12/18)    



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Poésie








Villa-Cisneros

100 pages - 14 €




Traduit de l'allemand par
Max Alhau







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