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Adeline BALDACCHINO

Celui qui disait non

L’histoire commence par une photo qui circule sur les réseaux sociaux ; une foule d’ouvriers sur le chantier naval de Hambourg le 13 juin 1936. Ils sont rassemblés pour le baptême d’un navire-école en présence d’Hitler. Tous ont le bras levé pour le salut hitlérien, sauf un. Il s’agit d’August Landmesser qui aime Irma Eckler mais ne peut pas l’épouser car depuis septembre 1935, la loi de  « protection du sang et de l’honneur allemand » interdit les mariages entre les Juifs et les Aryens.

Cet homme qui dit non va hanter l’auteure, la fasciner au point qu’elle part à Hambourg dans l’espoir de comprendre qui fut cet homme. Elle ne dispose pour toute source que des documents d’archives rassemblés par leur fille Irene en 1996. « … Les dates, les lieux, les noms : une chronologie. La vérité crue, brutale et nette, sans artifices ni sentiments. Deux cent cinquante pages d’actes et de fac-similés, quelques lettres, un sommaire qui ressemble à celui d’une dissertation d’histoire. Manque la chair. C’est elle que je traque. »

L’auteure ne s’efface pas derrière les personnages dont elle réinvente la vie. Elle est au contraire omniprésente à travers le chant d’amour qu’elle leur dédie. Ce qu’elle nous fait partager c’est le processus par lequel elle s’est glissée dans leur peau, dans leur tête. « Saisir le moment où Auguste et Irma deviennent plus vivants que leurs ombres, leur histoire plus puissante que l’oubli qui prétend les engloutir. »

En juillet 1937, August est arrêté au poste frontière avec le Danemark qu’il tentait de rejoindre. Depuis la cellule de sa prison, il se remémore tous les évènements qui l’ont mené là : l’accession au pouvoir de Hitler depuis 31 jusqu’à 37, son élection par la grande majorité de la population, les lois raciales, l’appel à boycotter les commerçants, les avocats et les médecins juifs, la radiation des fonctionnaires. Mais August ne se préoccupe pas de politique… et la politique va s’occuper de lui.

Irma est arrêtée en juillet 1938 et envoyée de camp en camp : Fuhlsbüttel, Lichtenburg, Sachsenhausen,  Ravensbrück, Bernburg où elle sera gazée.

La lecture de ce roman « véridique » est bouleversante. Il nous bouleverse à plusieurs titres.
C’est d’abord un long cri d’amour à la gloire d’August et d’Irma qui ont eu le courage de s’aimer malgré les lois raciales. Ils ont tous les deux payé de leur vie pour ce crime. Leurs filles élevées sans père ni mère ont échappé à mille morts.

C’est aussi un travail de recherche sur les camps de concentration réservés aux femmes et sur les méthodes d’extermination. Après des années de souffrance et d’humiliation,  la fin par le monoxyde de carbone est une horreur totale.

Mais ce sont aussi des scènes où le tragique rejoint la poésie. August est arrêté en 38, condamné aux travaux forcés. Il sera envoyé dans les marais de l’Emsland pour travailler dans les marécages avec les prisonniers politiques, les repris de justice et les résistants. C’est là que naquit le Chant des marais qui devient l’hymne de la Résistance. En octobre 44, enrôlé dans la Wehrmacht comme chair à canon, il se met à fredonner ce chant et tous les hommes du bataillon le reprennent. En face, les partisans croates arrêtent les tirs puis reprennent le chant à leur tour en serbo-croate. C’est une scène magnifique et totalement cinématographique.

« Toutes les voix grondent ensemble, une dernière élévation comme un hymne païen, comme une rumeur en larmes, les Croates et les Allemands qui s’attendent et s’accordent, la voix de basse et le baryton, le soprano qui les rejoint, puis le très jeune homme aux douceurs aiguës qui n’avait pas encore chanté jusque-là, le benjamin du peloton, le dernier qui fredonne est aussi le premier qui meurt, la voix claire et limpide, il se lève tranquillement, sa tête d’abord il est roux comme un automne en Baltique, il pleure et sourit en même temps : « ô terre enfin libre/Où nous pourrons revivre,/Aimer, aimer. »

C’est un livre qui n’épargne pas le lecteur, comme je pense, son écriture n’a pas épargné son auteure. Mais il me semble profondément juste. Son écriture ne nous laisse pas non plus indifférent ; parfois un  chant, parfois un  cri. La lectrice que je suis l’a lu  en apnée, soulevée par la quête de l’auteure : sortir de l’oubli et rendre justice. Adeline Baldacchino est aussi  poétesse. Ici elle est devenue musicienne.

Nadine Dutier 
(11/01/18)    



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Lectures








Fayard

(Janvier 2018)
272 pages - 18 €









Adeline Baldacchino
née en 1982, a déjà publié une vingtaine de livres.
Celui qui disait non
est son premier roman.

Bio-bibliographie
sur le site de l'auteur :
http://abalda.tumblr.com/