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Sarai WALKER


(In)visible


Un premier roman original qui nous invite, en nous faisant suivre les méandres de la pensée de la narratrice, à une réflexion sur certains phénomènes de mode, ceux destinés à séduire et conditionner une clientèle de femmes supposées être concernées par l’apparence…

Car Sarai Walker veille, qui va nous raconter l’histoire d’une jeune femme, Prune Kettle, dont le métier consiste à répondre aux mails de jeunes filles en « détresse » dans le cadre d’un magazine destiné aux ados. « Leurs lamentations semblent interminables. Il en vient de tous les côtés. A croire que l’intégralité du continent américain est sur le point d’être submergé par les larmes de ces adolescentes. » Le plus souvent, elle écrit dans le café de son amie Carmen. Un jour elle se sent observée par une jeune fille : « J’ai l’habitude d’être dévisagée, mais, en règle générale, je ne suscite que le dégoût. » Ainsi dès ce premier chapitre, le personnage est « vu » et la narration lancée avec juste une dose de mystère pour l’accompagner. « Je l’ai regardée s’éloigner, sans me douter un seul instant qu’elle était la messagère d’un autre monde venue me sortir de mon coma. »

Nous apprendrons vite que Prune se soumet à un rude régime, va à des réunions Waist Watcher, prend un anti-dépresseur, et tout cela en attendant de pouvoir se faire opérer. Car depuis ses années de lycée cette lutte contre ses kilos fait partie de sa vie. C’est pourquoi elle avait fini par prendre cette décision. Tout en étant cependant lucide, critique même, elle vit un peu en recluse et refuse le peu de sorties qui lui sont proposées. « Je préfère éviter les restaurants quand je suis au régime. Je sélectionne mon repas parmi les nouvelles recettes Waist Watchers. Je me prépare des lasagnes qui n’en ont que le nom. J’en mange une petite portion (230) accompagnée d’une salade verte (150). Je leur attribue la note de trois étoiles. Je découpe le reste en carrés que je range dans mon congélateur. J’ai encore faim, j’ai les mains qui tremblent, mais je dois tenir bon jusqu’à demain. »

La jeune fille qui l’observait, la suit et quelque temps plus tard lui donne un livre, Voyage à Dietland, écrit par Véréna Baptiste, la fille de la créatrice de ce régime-culte, ce fameux « Programme Baptiste » que Prune avait d’ailleurs elle-même suivi douze ans plus tôt. « Son programme était une grosse arnaque. Je m’en étais toujours voulu d’avoir échoué alors que je n’y étais pour rien. Je suis reconnaissante à Véréna d’avoir dénoncé les crimes de sa mère. »
Prune va finir par rencontrer Véréna qui s’intéressera à elle et l’invitera à rejoindre l’association féministe qu’elle a créée, « La Fondation Calliope ». « Pour que la vérité éclate au grand jour, et, dans la mesure du possible, pour réparer les dommages causés par ma mère. Mes parents se sont enrichis en exploitant la fragilité des autres. Désormais cet argent sale m’appartient. Il pèse lourd sur ma conscience.» Cette rencontre va bouleverser non seulement les habitudes de notre héroïne, mais l’amener progressivement à une réflexion sur la société américaine, et sur la façon dont les dépendances des femmes peuvent être entretenues. Et sa participation à l’association, changer sa vie. Véréna et elles vont devenir amies.

Par ailleurs, on apprend que des accidents mortels, des disparitions, puis des assassinats surviennent dans le pays. Les victimes seraient des individus dont les crimes sexuels n’auraient pas, ou peu, été condamnés par la justice. Et des scandales vite étouffés. D’où ces sortes de punitions sauvages… mais infligées par qui ? La police n’a aucune piste.

Nous comprendrons alors comment certains éléments se sont tissés et lesquels ont pu se rencontrer. Des personnages secondaires, mais importants dans la trame de cette narration, apparaissent, comme cette Julia qui travaille dans l’Austen Tower, immeuble où se situe la rédaction du journal de Prune, ou réapparaissent, comme la jeune femme qui suivait Prune.

Mais ce qui nous semble être le plus percutant dans ce livre, et qui nous tient, entre autres, en haleine – n’oublions pas qu’il s’agit aussi d’un thriller – c’est l’évolution de la narratrice, sa constance, et surtout ses réflexions percutantes. Et c’est bien un fil conducteur attractif, puisque depuis le début, nous la suivons dans ses aventures. Et aventures, il y a !

Et c’est ainsi au cours de notre lecture que nous repérons le talent de l’autrice Sarai Walker, dans sa façon subtile, voire espiègle, de faire se croiser chez son personnage principal, une forme de naïveté avec la nouvelle lucidité que son ingéniosité lui offre. Ce savant mélange est savoureux. D’autant plus que l’écriture est vive, le style percutant. Quant à l’humour, très caustique à l’occasion, il est présent presque à chaque ligne…

Ce roman nous embarque aux côtés de cette jeune femme qui, même si elle ne nous ressemble pas toujours, sait nous intéresser à ce qu’elle traverse parce que justement il y a une sensibilité que nous pouvons partager. Et au passage, ses critiques bien ciblées qui ne sont pas pour nous déplaire.
Alors bien sûr, et aussi, le suspense, et le rythme qui va s’accélérer… thriller oblige !
Ce roman est dense, plein, surprenant.
Réalisme et fantaisie composent un cocktail tonique, très agréable à consommer… très vite, donc, et sans aucune modération…

Anne-Marie Boisson 
(31/07/17)    



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Noir & polar








Gallimard Série Noire

(Mai 2017)
368 pages - 22 €


Traduit de l'anglais
(États-Unis)
par Alexandre Guégan