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Thomas A. RAVIER

Les hautes collines



D’une écriture élégante au vocabulaire précis, le narrateur nous offre à la fois un hymne au Sud et au mistral, et un retour sur ses souvenirs d’enfance. Ce qui lie indéfectiblement sa jeunesse au Midi, c’est  une maison, celle de ses grands-parents, où, bien que parisien, il séjournait le plus souvent possible, tous les étés depuis sa naissance et, plus tard, l’hiver pour écrire  au coin du feu.
Avec un sens aigu de la formule autant que de l’observation, il met en lumière les personnes qui ont vécu dans cette maison (avec un portrait émouvant de l’adorable et redoutable grand-mère) et les événements marquants qui s’y sont déroulés, jusqu’à ce jour fatidique, point de départ du livre, où sa mère lui apprend la vente de la villa.
Bouleversé par cette nouvelle, il entreprend dès le deuxième chapitre de dérouler, de sa naissance à aujourd’hui, le fil des souvenirs liés à cette maison.

C’est un texte lumineux, plein de tendresse et de colère.
Tendresse pour cette beauté du Sud. « Comme il y a des gens qui ne ratent pas un festival, je ne rate pas un été dans le Midi. Le ciel d'un bleu de blason... La lumière lyrique du Sud... Le premier bain, au saut du train, déclinant sa palette liquide de couleurs tactiles... La sieste à l'ombre mauve des bougainvilliers... L'enseignement sans parole du jardin... La première pêche de juillet et son frisson sucré... Je ne connais pas de plus grand événement culturel ! Le mot "Méditerranée" est à lui seul une succession de vagues : on a envie d'y plonger. Ce que j'ai fait. C'est quelque chose d'avoir passé son enfance dans le midi de la France. »
Tendresse pour le mistral, ce « bouffon virevoltant » auquel des pages passionnées sont consacrées. « Une journée sans mistral, c'est une journée figée. Contrairement à la sensibilité commune, c'est l'absence de mistral qui me déstabilise. Et je trébuche sur cette image trop sage du Midi que fixe son ciel postiche. […] Que le mistral se lève et le ciel ressemble à une piste de danse quand la lumière s'allume ; sauf que la fête dure des nuits entières et qu'elle épuise les danseurs. »
Colère contre ce qu’est devenu le Midi au fil des ans, défiguré par la folie immobilière et le développement d’un tourisme aussi envahissant qu’irrespectueux. Sa grand-mère en était aussi affectée que lui. « Ces dernières années, elle ne traversait plus le Lavandou qu'en voiture et en larmes. La malheureuse ne reconnaissait rien de son village de pêcheurs transformé en aire de vacances, avec sa mer d'attraction et son soleil commercial. »
Colère aussi contre les oncles qui ont décapité un cèdre pour dégager la vue. Il leur envoie un e-mail assassin digne d’une anthologie.

C’est aussi un roman initiatique où un adolescent découvre l’éveil des sens, à douze ans, avec les jeunes filles au pair engagées par la famille, puis, un peu plus tard, avec celles qu’il rejoint en mobylette dans les boîtes de nuit et ramène ensuite à la villa où il jouit d’une grande liberté. « Les stations balnéaires sont des territoires à part, avec leurs propres critères anthropologiques. Depuis le début de l'été, les boîtes de nuit, par une sorte d'accord magique, s'ouvraient aux adolescents de mon âge. Une véritable révolution culturelle. J'avais quinze ans et une mobylette ? J'étais immunisé contre ma famille et son ordre sédentaire. La nuit était à moi. »
Il ne se privait pas de profiter, quand c’était possible, de la complicité du mistral. « Si le mistral soufflait toute la nuit, miaulant dans les oreilles et secouant le décor de l'atmosphère, mes petites vacancières avaient avant tout envie d'un abri, le premier abri venu pour échapper à ce rustre méridional dont elles ne percevaient pas les vertus. » Thomas leur offrait généreusement le refuge dont elles avaient besoin.

Outre la tendresse, la colère, l’analyse des sensations et des sentiments, le récit des frasques adolescentes et des conflits familiaux, le roman est parcouru par la passion de l’art, qu’il s’agisse de musique (jazz ou opéra) ou de littérature et l’auteur convoque ici ou là certains de ses prédécesseurs, pour un petit clin d’œil au passage, qu’il s’agisse de Paul Morand ou Georges Bataille, de Choderlos de Laclos ou Casanova, voire les grands classiques de Shakespeare à Proust, Joyce ou Faulkner… Avec tant d’amis, on se sent moins seul !

Le résultat de cette introspection, de cette immersion dans la relation fusionnelle entre l’auteur et cette maison témoin de tant de moments intimes, fait de ce livre une nouvelle réussite de la collection Haute enfance où, depuis vingt-cinq ans, des écrivains nous offrent, avec talent et sincérité, un regard émouvant sur leur passé et leur passion. Le texte de Thomas A. Ravier ajoute à une liste déjà très riche un titre que les gourmets de littérature ne doivent surtout pas manquer.

Serge Cabrol 
(29/11/17)    



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Gallimard

(Octobre 2017)
Collection Haute Enfance
160 pages - 16 €











Thomas A. Ravier est
essayiste et romancier.


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