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« J'ai envie d'inventer la vie de gens simples, ceux que je vois passer sur la route. Dès qu'ils disparaissent dans la colline, j'invente leur vie. Ces nuages, ces quelques silhouettes qui entrent dans la brume. » C’est le début du roman, tout va bien, René Frégni parle au présent de son bonheur quotidien, de sa vie agréable entre écriture et balades. « J'étais heureux dans ce petit vallon. J'ouvrais ce cahier chaque matin et j'étais ébloui par la liberté que m'offrait la blancheur vierge de chaque page, comme je l'étais dans le silence de tous ces chemins. Libre de marcher, d'écrire, de rêver. Libre de ne penser qu'à l'oiseau, lorsque je regardais l'oiseau, de ne penser qu'à chaque pierre où je posais mon pied lorsque je gravissais les chemins ravinés qui mènent aux crêtes. Libre de ramasser un mot, n'importe où, de tripoter ce mot, de l'observer, de le goûter, de le tordre, d'en extraire de brefs ou longs voyages, des désirs et des peurs. Que s’est-il passé entre ces deux moments, susceptible d’anéantir ainsi sa quiétude et de menacer sa liberté ? Il faut rappeler que René Frégni a longtemps animé des ateliers d’écriture en prison. Et aujourd’hui, l’atelier d’écriture mené pendant trois ans aux Baumettes trouve un prolongement inattendu qui va plonger l’auteur dans l’enfer. « – Tu m'appelles de la prison ? « Comment oublier Kader, ce rire, cette bonne humeur, sa franchise, ses étonnements, la flamme ardente de ses yeux si noirs. Ses dents que l'on voyait si souvent. Trois ans sans écrire un mot mais le plus présent de tous, le plus vivant. Un morceau de soleil tombé dans les ténèbres de la prison. Un morceau d'enfance. » René Frégni ne sait pas dire non. Il l’accueille, le cache et s’efforce de l’aider, sensible à la personnalité attachante de cet homme encore jeune dont l’essentiel de la vie s’est déroulée en prison et qui parle avec passion de ce qui s’y passe et de ceux qui y vivent. « La majorité des détenus sont des types comme moi, aucun niveau scolaire, familles pauvres, disloquées. Ils ont grandi dans des orphelinats et des familles d'accueil. Des jeunes perdus qui n'ont pas besoin des barbus pour se radicaliser, c'est la rue qui les radicalise, la misère, la prison. La prison c'est rien d'autre qu'une cité avec des barreaux. En prison ils sont chez eux. Ils ne connaissent que le béton, le goudron, la violence. […] René est sensible à sa révolte et à son désir de revoir son fils qu’il n’a pas vu grandir. L’écrivain perçoit alors que cet homme lui a ouvert « les portes de la peur » et il ne sait pas du tout si elles se refermeront un jour. A la fois journal intime et véritable thriller, ce roman nous entraîne fiévreusement sur les traces d’un écrivain dont le paisible univers qu’il a réussi à construire explose, l’obligeant à se défendre et réagir d’une manière qu’il n’aurait sans doute jamais imaginée « avant », dans la vie qui était encore la sienne quelques jours plus tôt, avant ce coup de téléphone et cette intrusion détonante dans sa paisible existence. Un livre passionnant, plein de sagesse et de réflexion mais aussi de folie, de bruit et de fureur. Serge Cabrol (12/05/17) |
Sommaire Lectures Gallimard (Mai 2017) 192 pages - 18 €
Bio-bibliographie sur Wikipédia Lire sur notre site un entretien avec René Frégni au sujet des ateliers d'écriture en prison. |
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