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Le miraculé de Saint-Pierre
C'est un livre fascinant et bien complexe que Gaston-Paul Effa nous offre ici. Dans ce livre puissant, touffu, qui nous parle des Noirs, des opprimés, des esclaves et des martyrs mais aussi de l'écriture, du travestissement de la biographie historique pour se dire soi-même ou ses questionnements quand on est un auteur, Séraphine Fournier, qui se sent héritière de la véritable histoire d’Élizé comme de Cyparis, sert à la fois de catalyseur et de détonateur. Le personnage de Cyparis – dont le « nom venait du Congo de ses ancêtres. Son ethnie d'origine vendait des esclaves et, pour plus de discrétion, une pancarte posée par le chef du village indiquait aux acheteurs ''par ici'' et ceux qui n'avaient pas appris à lire se murmuraient ''cyparis'' pour désigner la famille des traîtres » – était un voyou. Mais comme survivant à la catastrophe qui fit plus de 30 000 victimes, protégé par son enfermement dans le cachot souterrain de la prison, il devient pour la population qui vient le visiter à l’hôpital « le miraculé », doté de pouvoirs de guérison. Alors l'homme aux multiples cicatrices fuit la sanctification pour se retrouver « phénomène » de cirque, voyageant des Caraïbes aux États-Unis pour aboutir finalement comme ouvrier au Panama. Si Cyparis domine le roman puisqu'il en est l'élément central comme « sujet », ses extraordinaires aventures ne semblent que servir de point d'ancrage et de départ aux réflexions sous-jacentes développées par l’écrivain et son amie passionnée et provocatrice Séraphine. Et celle dont nous ne connaîtrons le secret qu'à la toute fin du roman, n'est-elle pas, tout compte fait, le pivot de cet étrange roman ? Un livre inclassable, entre effroi et volupté, nature, magie et humanisme, qui parvient à nous immerger dans cette douloureuse histoire de la malédiction qui a frappé les Noirs de l'esclavage au racisme (avec d'assez belles pages notamment sur le blues), tout en nous permettant de pénétrer de l'intérieur le processus de la création littéraire. Et si la lecture de ce roman peut initialement s'avérer déroutante, il mérite de s’obstiner. Quand la rationalité du lecteur lâche prise et qu'il se laisser embarquer dans la profondeur de ses strates successives, Gaston-Paul Effa lui propose alors la découverte, très loin de nos sentiers battus et rebattus, d'un ailleurs qui pourrait bien éclairer autrement notre présent tant il parle superbement de l'homme, de sa liberté et son destin. Une belle découverte. Dominique Baillon-Lalande |
Sommaire Lectures Gallimard Continents noirs (Février 2017) 240 pages - 16,50 €
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