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Marco BALZANO

Le dernier arrivé


Marco Balzano dans la 'note de l'auteur' nous rappelle à la fin de son roman que le phénomène de l'émigration enfantine  (enfants de moins de 13 ans) était encore important en Italie entre 1959 et 1962. Il dédie aussi son livre aux personnes qu'il a interviewées (âgées aujourd'hui de 60 à 75 ans) qui ont vécu cette aventure humaine. Cette attention à la mémoire et aux vies de ces milliers d'ouvriers est si rare dans la littérature contemporaine qu'elle mérite d'être soulignée. Le dernier arrivé n'est pas une étude sociologique ou historique. Ce livre est bien plus que cela : c'est un roman de la condition humaine.

Superbement construit, dans un style clair, sans fioritures, l'auteur va en parallèle nous restituer 'les' vies de Ninetto, un homme aujourd'hui âgé de 57 ans, né dans un village de Sicile et ayant émigré à 10 ans à Milan.

De la prison milanaise où il est incarcéré encore pour quelques semaines, Ninetto se souvient de son enfance et de sa jeunesse. Son enfance en Sicile : la pauvreté, la faim, les coups, une mère qui devient muette, un instituteur qui lui donne le goût de la poésie... Puis, à 10 ans il émigre à Milan en compagnie d'un ami de son père. Vie misérable dans cette grande ville industrielle, dortoirs sordides, mépris des émigrés qualifiés de 'Napolos' quelques amitiés mais surtout la solitude ; seul, il doit trouver du travail. Bref, c'est la vie de Léonard, maçon de la Creuse que nous raconte Martin Nadaud un siècle plus tôt. Sa jeunesse (à 15 ans !) c 'est la rencontre de Maddalena et leur mariage rocambolesque ; ils auront plus tard une fille Elisabetta. Ninetto aura un 'vrai' travail chez Alfa Romeo (on embauche à 15 ans sur les chaînes de montage à cette époque-là). Il y restera 32 ans. Travail monotone et sans intérêt. Quelques retours vers la Sicile :
« Le train qui descend n'est pas le même que le train qui monte. C'est une autre histoire. Ses voitures vides sont éloquentes, elles disent le vide de la région vers laquelle on se dirige. Vide de travail, vide d'occupations, vide des gens qu'on pense revoir et qui ne sont plus là. »

Nous ne dévoilerons pas par quelle absurdité Ninetto se retrouve en prison, néanmoins la référence à l'Etranger de Camus est explicite. Cependant – et même si l'agression est tout aussi absurde – Ninetto n'est pas Meursault et ici on entrevoit, plus clairement que chez Camus, ce qui a pu aboutir à cet acte.

À sa sortie de prison, Ninetto ne reconnaît plus le monde qu'il a quitté 10 ans auparavant. La plupart des usines de la banlieue de Milan sont devenues des friches industrielles. Les humbles baraques construites par les émigrés d'alors ont disparu :
« Ces baraques n'existent plus. Il n'en est pas resté la moindre trace, car les efforts des pauvres gens ne laissent jamais de traces. Les manuels scolaires n'en ont pas conservé non plus le témoignage : on n'y parle que du roi et de la reine. »

D'autres émigrants venus de l'autre côté de la Méditerranée occupent des HLM insalubres ; pour trouver le moindre travail il faut un CV rempli au "format européen" que vous pouvez trouver "en ligne". Un nouveau monde auquel Ninetto ne comprend plus rien. Ses nouveaux amis, il les trouvera chez les derniers arrivés qui lui rappelleront l'émigré qu'il fut.

Ninetto aura vécu deux siècles en un temps pourtant très court. Et c'est là une des prouesses du roman de Marco Balzano de nous brosser une fresque de la transformation de la société italienne (et aussi la nôtre) au travers de la condition ouvrière. Un très grand livre qui donne une voix à des existences trop ignorées.

Yves Dutier 
(07/02/17)    



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Philippe Rey

(Janvier 2017)
240 pages - 18 €


Traduit de l'italien par
Nathalie Bauer










Marco Balzano
né à Milan en 1978, est écrivain et professeur de lycée. Le dernier arrivé est son troisième roman.