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Stéphane VELUT

Festival


Sur les hauteurs de Cannes, dans une vieille caravane installée sur un terrain vague qui fut autrefois un camping, habitent Guitte, veuve d'un mari violent, à la vie grêlée par le manque d'argent et les drames familiaux, et Flink, son fils, qui, comme son frère absent, a connu la prison. Avec eux, s'est installée depuis quelque temps Hélène, la jeune, belle et généreuse conquête que le garçon garde jalousement à l'abri de la convoitise des autres.
Mais, de toute façon: "C'est bien joli les caravanes... mais hormis les idées de voyage que ça donne, quand ça stagne sur deux roues et qu'une vieille y séjourne, qu'elle rechigne toute la semaine à se laver à l'eau froide, très vite ça sent le renfermé."

La mère, fascinée par le cinéma qui constitue ses seules références et l'a fait rêver quand elle était jeune d'une carrière sur grand écran, passe aujourd'hui son temps devant les séries TV qu'elle consomme sans modération.
Le Festival du film de Cannes tout proche, son cirque et son luxe affiché, ses acteurs célèbres, c'est l'occasion pour elle de s'évader. "Elle aurait pu en son temps donner la réplique à Gable ou Mitchum ou Brando ou Fonda pourvu qu'on l'eût laissée partir, quitter ce camping désaffecté…"
Son rejeton, à voir Nicole Kidman dans une suite du Majestic dont la surface est égale à celle du premier étage de la Tour Eiffel, refuser une robe de chez Dior et faire la moue devant une autre de chez Chanel, avant de monter nonchalamment les célèbres marches tapissées de rouge, se dit pourquoi pas nous ? Pourquoi pas son Hélène ?
Alors il monte un plan, bien évidemment foireux, pour sortir toute la famille de la boue et rétablir l'équilibre des richesses.
"On s'en fout d'être pauvre. On a beau patauger au camping de la Mouette, sortir encore de taule, quand on a le panache d'un Flink et le coup du siècle en vue, on fonce. À Cannes, au festival, on va crever l'écran, s'en mettre plein les poches. Fini la caravane, la gadoue et l'eau froide, demain ça sera l'aisance : pour la mère une baignoire et une télé toute neuve ; pour Meert un endroit où dormir. Ensuite on s'offrira une virée italienne, en Triumph par exemple, avec Hélène chérie. Et tant pis si ça foire, au cimetière c'est pas la place qui manque."
Tous les coups sont permis. "Les riches n'ont pas besoin de tuer eux-mêmes pour bouffer" comme le disait justement Louis-Ferdinand Céline, lui si.
Et puis comme dit maman Guitt, la vie c'est une question d'occasions.

Le quatrième comparse de cette histoire, un nommé Meert, complice des délires de Flink, ex-compagnon de cellule condamné alors pour pédophilie, a aussi un lien avec le cinéma : ses parents l'ont abandonné enfant dans une de ces salles obscures, et il ne les a jamais revus. Un rondouillard, paumé, pas très futé et fataliste : "La pauvreté ce serait comme un truc héréditaire. Ça et la mocheté, ça vous colle à la peau. Ça s'agrippe. Ça fait comme le cafard, on s'en éloigne, une heure, un jour, et puis ça vous rattrape."
Ces deux-là se sont retrouvés dès leur sortie à quelques mois d'écart pour écumer les hôtels de luxe au nord du lac Léman, pour se refaire.
"Ne nous attardons pas sur le bilan du vol, le petit salut au concierge qui ne fut pas étonné de voir ces deux types quitter l'hôtel avec des sacs à linge, salut les gars dit-il (on est entre employés n'est-ce pas?), résumons simplement : Flink, plus disposé aux bonnes blagues qu'aux remords, rendit hommage aux veuves qui claquaient la fortune de leur mari défunt et Meert considéra la recette confortable. Lui qui depuis qu'il avait quitté Nice avait envisagé de vivre de rapines, de casse-croûtes chapardés dans les grands magasins, jugea le savoir-faire de Flink beaucoup plus efficace. Bref, on admettra que les hôtels de luxe recèlent plus de richesses à emporter que les supermarchés n'en offrent à consommer sur place."

Mais au présent du roman, c'est le festival qui les occupe. Une opportunité exceptionnelle à leurs yeux d'exister vraiment. Le grand jour, les deux taulards et Hélène qui se sont imaginés au pinacle, se retrouvent acteurs dans une scène digne des Marx Brothers, à la fois grand-guignolesque et pathétique...
De quoi accumuler les cadavres sous les roses et les regrets.

C'est bien à une comédie à l'italienne, comme l'annonce la quatrième de couverture, avec pour protagonistes de pitoyables pantins, affreux, bêtes et méchants, qui s'agitent chacun sur scène sans écouter les autres, en débitant un texte mal appris dont ils ne comprennent pas le moindre mot, que le lecteur assiste.
La boue ici n'envahit pas que le terrain vague et la caravane dont l'exiguïté ne permet pas de se voir tout entier dans un miroir, tous en sont victimes corps et âme, cumulant misère sociale, économique et culturelle. Les femmes trouvent dans la télé leur échappatoire, spectatrice en état de lourde dépendance comme la mère ou jeune femme victime des séries sentimentales à travers lesquelles elle vit sa propre histoire d'amour avec Flink.
Flink aussi, ce minable petit délinquant que sa belle travestit en héros sans peur et sans reproche, flanqué d'un comparse tragiquement limité, se rêve dans un film façon western où il tiendrait le rôle de sauveur de sa tribu.
L'étalage du luxe et de la richesse à Cannes, lors du festival, en permanence dans le petit écran mais aussi quasiment sous leur nez, à quelques kilomètres de leur taudis, fera le reste.
Mais, dès l'exposé des personnages, le lecteur devine que ceux-là sont fatalement voués à l'échec et que leur plan d'évasion ne sera qu'un pas de plus vers le gouffre.

Le livre, outre son parti pris comique et grotesque, a en commun avec le cinéma italien d'après-guerre un goût prononcé pour la critique sociale.
La vie est ici envisagée avec cynisme comme une loterie où les chances de gagner seraient fort inégalement réparties. Il y a Cannes et sa banlieue, la Croisette et l'Airstream, ceux qu'on voit à la télé et ceux qui les regardent avec envie. Ces deux mondes-là se tournent le dos et le tableau sans nuances et aux couleurs vives laisse entrevoir à l'arrière de la scène une zone d'ombre teintée de lutte de classes, où méchants et victimes ne seraient pas toujours ceux qui sont a priori estampillés comme tels. Ici, la télévision, l'exhortation à la réussite, la richesse et la consommation, pourraient être considérées comme des armes de destruction massive.

Mais au pamphlet ou au roman réaliste ancré dans le misérabilisme, Stéphane Velut préfère la farce. Conjuguant audace et retenue, impudeur et tendresse, il nous embarque dans la quête obstinée du bonheur qui meut ses personnages avec une vivacité sans pause, un style qui allie dialogues et langage oral avec description picturale, brutalité avec sophistication ou humour, avec un à-propos, une richesse de langage étonnante et réjouissante.

Un roman farfelu et désenchanté, original et éminemment littéraire sous son air cinématographique, qui mérite vraiment d'être lu.

Dominique Baillon-Lalande 
(02/07/14)    



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Verticales

(Mars 2014)
174 pages - 16,50 €













Stéphane Velut,
né en 1957 est neurochirurgien, Festival est son deuxième roman.