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En Haïti, à Port-au-Prince, dans le misérable quartier de la rue de l’Enterrement qui jouxte un grand cimetière où même les morts doivent lutter pour se trouver une place, cinq amis d'enfance encore au seuil de l'âge adulte luttent pour survivre. Autour d'eux gravitent aussi Julio « le garçon le plus solitaire de la rue qui cache aux autres et à lui-même qu'il n'aime pas les filles, parce que même dans notre rue surpeuplée de vivants et de morts, il y a de la place pour les secrets », Hans et Vladimir, des voyous habiles au lancer de pierres respectés pour avoir brisé les vitres d'un camion militaire, les rares petits commerçants du quartier etla bande Halefort qui détrousse les morts du cimetière et volent les cercueils, faute de mieux. Le soir venu, parfois, ils se retrouvent tous au “Kannjawou”, bar local pittoresque devenu à la mode et aujourd'hui fréquenté par les expatriés plus ou moins arrogants ou plus ou moins paumés, les experts et les consultants en transit – secondés par la bourgeoisie et les technocrates locaux – qui décident du sort d'un pays sans vraiment le connaître, avant de s'envoler ailleurs pour une nouvelle mission. C'est au Kannjawou, nom qui dans la culture populaire haïtienne désigne la réjouissance et le partage, que Sophonie travaille comme serveuse. Mais comment faire la fête quand la souffrance fait vieillir trop tôt et accule à la résignation jusqu’à détruire la solidarité des communautés premières ? Le narrateur confronté à l'injustice, l'occupation et le drame au quotidien, envahi par les questions qui s'imposent à lui, a trouvé sa voie pour tenir : dévorer les livres que le petit professeur lui apporte et écrire, « bricoler une histoire ». « Dans le groupe, je suis le petit dernier, et le scribe. Man Jeanne m'encourage. Écris la rage, le temps qui passe, les petites choses, le pays, la vie des morts et des vivants qui habitent la rue de l'Enterrement. Écris, petit. J'écris. Je note. Mais ce n'est pas avec des mots qu'on chassera les soldats et fera venir l'eau courante. » Face à la précarité, l'injustice, les inégalités et la soif du pouvoir, c’est la question de la résistance possible de l'amour et de l'amitié qu'ici l'écrivain haïtien pose superbement. C'est aussi la lâcheté, la fatalité ou la colère des Haïtiens face à la misère et l'occupation étrangère, qu'il peint. Et il le fait de façon aussi combative qu'ardente et sensible. En poète, de sa langue pareille à nulle autre, c'est aussi la beauté de sa terre, la fête rêvée toujours ajournée, le pouvoir des mots qui permet de questionner et de décrire le monde à défaut de parvenir à le transformer, qu'il met en scène. « L’écriture, par le roman ou la poésie, est l’acte de parler, de discuter et de répondre ouvertement aux malentendus de l’histoire et de la société haïtienne » et « Qu’est-ce qu’un monde qui ne partage plus que le défaitisme et laisse la révolte à la folie des extrémistes ? » disait en 2013 l'auteur sur le site « Altermondes ». Deux réflexions qui fondent « Kannjawou » qui, par et au-delà même de la littérature, se transforme en arme dans le combat pour la démocratie et une transformation profonde des structures sociales dans son pays que mène l'auteur de livre en livre. Un roman bouleversant, vibrant d'humanité et magnifique, à lire de toute urgence. Dominique Baillon-Lalande (16/01/16) |
Sommaire Lectures Actes Sud (Janvier 2016) 208 pages - 18 € Babel (Août 2018) 208 pages - 7,70 €
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