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Pascal THIRIET


Au nom du fric



Un ministre a été invité pour fêter les cinquante-cinq ans d’Hercule du Tylleux. « Il faut dire qu’il représente deux ans de travail et d’intrigues, ce ministre. Deux ans de transactions avec l’UMP et donc, aussi, beaucoup d’argent. Chez les du Tylleux, l’anniversaire du chef de famille, c’est la grosse affaire. »
Quant à nous, c’est par l’auteur que nous allons être invités à regarder ce monde des affaires, des banques, du pétrole, et ses intrigues abyssales...

Le banquier richissime, Hercule du Tylleux a deux fils, Dante et Aymé. Une femme, bien sûr, une maîtresse, évidemment, une étroite collaboratrice, etc.
Au cours de sa précédente fête d’anniversaire, pour ses cinquante-quatre ans, à Yalta – « Son cadeau c’était le bateau […] Un bateau plein d’antennes pour pouvoir être là et ailleurs en même temps » – il avait déclaré que sa fortune ne pouvant se diviser, il la léguera à celui de ses fils qui saura faire le plus de fric, le plus malin, donc… ou le plus retors des deux. « Il a fait mettre à leur nom cinq cents unités en cash et en parts de sociétés […] Ils ont un an et un mois pour jouer avec. À la fin on fait les comptes et il décide. Le perdant pourra garder ce qu’il a fait avec son demi-milliard. » Bien conscient qu’ainsi il sème non seulement la panique, mais va aussi  raviver la haine entre les membres de cette famille liée apparemment par des intérêts le plus souvent antagoniques.
Un monde noir, où il ne fait pas bon pénétrer si ce n’est – et l’intérêt du roman peut commencer par là – pour essayer de nous en approcher, afin de mieux appréhender ces jeux de pouvoirs et d’argent jusque dans leurs compliqués et inextricables tricots.

La femme d’Hercule : Marie-B., troisième fortune de France, mariée par obligation mondaine et familiale s’autorise parfois à lancer quelque vérité à son mari : « – Le jeu ? Faire se haïr vos fils est un jeu ? Si vous manquez à ce point de distractions, pourquoi n’allez-vous pas tuer des tigres au Bengale comme tout le monde ? »

Leurs fils : Dante, l’aîné, cynique, semblerait être le digne héritier de son père. « Le pétrole le moins cher du monde c’est le pétrole volé, et du pétrole volé, Dieu soit loué, il y en a plein. En Syrie, en Irak, en Libye, des citernes géantes pleines à ras bord. En Lybie, les terminaux sont intacts, il n’y a qu’à venir s’amarrer et pomper. En Syrie, il ne faut pas ennuyer les Turcs, mais on peut s’arranger : il y en a pour tout le monde et la Syrie c’est à côté de l’Irak. Voilà pour les achats.
Pour la vente, le Venezuela de Chavez ne sera pas mécontent de faire tourner ses installations avec du pétrole léger au lieu de la réglisse puante qu’il extrait de l’Orénoque. » Ainsi pense Dante du Tylleux.

Aymé, le préféré de sa mère, homosexuel, nous étonnera peut-être en montrant quelques qualités humaines sympathiques (attention, tout de même, le pluriel pourrait être un peu exagéré !)

Certains des personnages qui gravitent autour de cette famille ne seront pas aussi caricaturaux qu’il y paraît à première vue, c’est du moins ce que nous nous apprêtons à imaginer…
En fait il s’agit d’êtres atypiques, si on s’en tient à un certain réalisme psychologique, qui montreront des sentiments complexes, des émotions presque ordinaires et – habileté de l’auteur – susceptibles de nous attacher à eux. Comme la fameuse Blasphème, au nom étrange et à la personnalité complexe, curieuse intelligence et bras droit d’Hercule, mais qui laisse percevoir une blessure originelle, moteur de certains de ses actes qui pourraient s’avérer dangereux. Alors que sa relation lucide avec Sun Tsi, son camarade, amoureux et néanmoins partenaire, à la banque du Tylleux, est sincère et touchante... Quant à ce dernier, vrai génie de l’informatique, il semble être tout autant capable de retarder la Bourse, que d’organiser des espionnages divers et autres avatars…

Et puis le sexe, toujours, comme divertissement, saupoudré de sentiments, mais surtout moyen de pression ou assouvissement de rancunes. Parfois avec des conséquences plus que douteuses. Cela ne nous surprend pas et renforcerait plutôt, la noirceur de l’encre de notre auteur : « Elle ne dit pas qu’elle s’en fout du rejeton d’Agnès de Saint-Suaire et de Dante du Tylleux. Sans compter que rejeton du Tylleux c’est sûr, mais de Dante, nettement moins. Il y en a plus d’un qui se souvient que la Saint-Suaire avait traîné dans les beaux draps d’Hercule avant d’épouser le fils. Le Gonzague baladait sa tronche de du Tylleux de pension suisse en cure de désintoxication. Pour l’anniversaire de son peut-être-pas-si-grand-père-que- ça, on l’avait collé avec un infirmier dans un avion privé avec une petite mallette de médicaments et un billet de retour pour sa cure. » Ainsi pense Blasphème.

La violence aussi, sourde ou bruyante. Banalisée.

Or, le suspense nous tient, la curiosité opère, l’envie de savoir comment tout cela va se terminer, comme si nous nous passionnions vraiment pour ces enchevêtrements de fric plus ou moins sale, et ces états d’âme au ras du sol…

Est-ce parce que nous ne connaissons pas vraiment les dessous de la grande finance que cette vision du monde nous paraît déjantée ? Et que ce roman, au demeurant brillant exercice de style, montrerait de manière percutante qu’il n’y aurait pas de fiction-fumée sans feu… ou l’inverse ?
Quels "coupables" seront punis ? Pour quels crimes ? On peut se le demander mais au fond… peu importe. Et nous n’en dirons pas davantage sur l’intrigue, ses dénouements, ses surprises…

Et l’humour ! Cette arme si efficace que Pascal Thiriet maîtrise parfaitement : il dégaine vite et à bon escient !
Comme il semble s’en donner à cœur joie au cours de la narration qui s’accélère, nous séduit et nous entraîne …
C’est parti… pour trouver où cela nous mène… et réfléchir peut-être… car, sous les pavés de la caricature…

Anne-Marie Boisson 
(05/09/15)    



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Noir & polar









Éditions Jigal
(Mai 2015)
240 pages - 18,50 €











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