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Pascal THIRIET


Faut que tu viennes



Énée, le personnage principal (héros n'est pas le terme qui vient naturellement à l'esprit), est un alcoolique confirmé qui démarre au blanc sec le matin pour arrêter le tremblement de ses maison, continue la journée à l'anisé et termine le soir au whisky ou au cognac sans se priver d'agrémenter le programme avec n'importe quoi qui se boive pourvu que ce soit fermenté.
Il vit dans la montagne avec une très jeune fille et un chien fou mais dès les premières pages on le trouve à Montpellier où il vient apporter de l'aide à son amie Dido qui lui a dit au téléphone : « Faut que tu viennes ».

Vivant (confortablement) de braquages de banques ou d'escroqueries, Dido se met régulièrement dans des situations délicates dont Énée doit venir l'aider à sortir.
Cette fois-ci, elle a presque tué un homme et il faudrait l'achever pour éviter qu'il parle. Seulement il est en réanimation à l'hôpital et elle préférerait qu'Énée s'en occupe.

Elle s'est lancée dans une sombre, mais peut-être juteuse, combine foncière et c'est un banquier qu'elle a essayé d'occire avec le pare-chocs de sa voiture. Raté de peu, il est toujours dans le coma. Mais au-delà de la mise à l'écart définitive du banquier, c'est au montage de sa combine que Dido veut associer son ami toujours si dévoué.

Il s'agit d'amener de riches Américains à investir une vingtaine de millions d'euros dans la construction d'un complexe touristique sur une zone protégée du littoral, les initiateurs du projet s'engageant à obtenir les dérogations nécessaires à coups de magouilles politiques ou de chantage à l'emploi une fois les travaux commencés. Dido adore ce genre d'escroquerie de haut vol où il faut jouer divers rôles sur plusieurs tableaux, créer des personnages bidon et monter les uns contre les autres pour enlever le jackpot à la fin. Quand elle a jugé ne plus avoir besoin du banquier, elle l'a écrasé. Il suffit juste maintenant d'aller couper le dernier souffle de vie qui lui reste.

Comme d'habitude, Énée obéit. Leur relation dure depuis le collège et il n'a jamais refusé son aide à cette amie si fantasque et si attachante à la fois.

Mais voilà qu'à l'hôpital où il doit débrancher le banquier, Énée rencontre la mère du presque défunt, Bérangère Cabaret Banon, et se lance dans une relation avec elle qui va sérieusement compliquer une situation déjà bien embrouillée.
Bérangère, qui est très bien informée et a eu vent du projet de résidence sur le littoral, lui propose de s'associer à leur jolie magouille.
Voilà notre justicier alcoolique coincé entre Dido et Bérangère, chacune voulant, à terme, la tête de l'autre sur un plateau.

De nombreux personnages secondaires hauts en couleur vont être mêlés de près ou de loin à cette histoire rocambolesque. Les proches de Dido : un jeune défenseur de la planète plutôt confus et sa petite copine qui arrondit ses fins de mois avec des messieurs plus âgés dont un pédopsychiatre. Un ancien torero devenu tueur motocycliste. Des clochards du port de Sète sales et puants mais observateurs et accueillants. La propriétaire d'un restaurant de bord de mer qui sert une lotte délicieuse. L'équipage du yacht de Bérangère dont la jolie Séverine qui assure le service avec efficacité…

Enée ne sait pas plus résister à une bouteille de casa qu'aux charmes d'une femme et ces deux gourmandises vont le conduire d'errance en errance, d'une chambre à l'autre, de bistrot en troquet, de l'appartement de Dido au lit de Bérangère et inversement selon les jours…

Le lecteur se demande parfois où en est l'opération "Résidence Littoral" et quand Bérangère demande des informations à Énée, les réponses ne sont pas très éclairantes comme le montre cet échange dans un restaurant du port où elle aimerait en savoir plus.
« – Bienvenue sur la planète Terre. Ce soir si tu veux, c'est toi qui choisis. Et on pourrait même ne pas se saouler, ce soir. Comme ça, tu m'expliqueras un peu mieux tout ça.
– Ça va prendre du temps parce que je ne peux pas dire que je comprenne bien tout, moi-même.
La chair du poisson était très blanche sous la sauce très rouge qui la nappait. Blanche et ferme et d'un goût très délicat. Bérangère semblait très délicate elle aussi et très ferme sous la soie. Pendant qu'il essayait de lui expliquer des choses qu'il ne comprenait pas, il la regardait manger et l'écouter comme si c'était une seule et même chose. 
»
On n'en sait pas beaucoup plus à la fin du repas mais on se laisse porter par l'écriture.

L'essentiel n'est pas la réussite ou l'échec du projet dont Énée n'a strictement rien à faire mais ce vagabondage sombre et titubant entre Dido, Bérangère et les autres, pour un roman dont l'atmosphère est plus importante que l'intrigue, dont le style nous ramène aux grands romans noirs américains où des privés descendent des bouteilles de whisky tout en séduisant de riches héritières, où la lumière d'un bistrot troue la nuit sur le quai d'un port désert…
Amis de la poésie glauque des polars déjantés, bienvenue dans l'univers de Pascal Thiriet illuminé par l'éclat du pastis sur une terrasse ensoleillée parmi quelques cadavres dont le héros n'est pas toujours responsable. Un auteur à découvrir (c'est son deuxième roman) et à suivre !

Serge Cabrol 
(12/06/14)    



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Noir & polar









Éditions Jigal
(Mai 2014)
264 pages - 18,50 €