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Ea SOLA

Partition silencieuse



Partition silencieuse raconte le destin d'une famille respectée de Saïgon. Mme Ly, la mère, cultive du thé pour assurer une vie prospère à sa famille, règne sur les domestiques et veille au culte des ancêtres pendant que son mari se consacre aux écritures anciennes. En 1954, la guerre qui éclate va bousculer cet équilibre. Dinh, l'un de ses fils, s'engage dans la guérilla Viêt-công. Afin de le protéger, Mme Ly l'envoie en compagnie de son frère poursuivre ses études en France. Il revient quelques années plus tard avec sa jeune épouse française et reprend le combat alors que son frère rejoint le parti opposé. La famille se divise.

Dans cette fresque familiale, Ea Sola explore les ruptures introduites par la guerre dans les traditions établies et les liens familiaux. Le titre du livre reflète la volonté de l'auteur de créer un récit autour du silence et de l'incommunicabilité :
Au départ, il aurait fallu tenter la parole. Ils n'avaient pas abordé la question : être un étranger. Ni de sa vie en forêt auprès d'un Viêt-công. Mais ils étaient d'accord : la paix plutôt que la guerre. Une paix sans soumission, une unité entre frères. Ils n'avaient quand même rien à se dire. Il restait le sujet du sang colonial en elle. En pleine nuit, avec le toit qui fuit, les seaux et les cuvettes, ils n'avaient pas envie d'en parler. Accommoder le problème au silence, voilà l'entente.

Par touches successives, elle donne à voir la vie des personnages, leurs luttes permanentes, celle de Mme Ly pour perpétuer des traditions qui s'estompent, celle de Dinh caché dans la forêt et celle infiniment touchante d'Iris, la jeune Française qui se bat pour trouver sa place et use toute son énergie dans la culture du piment :
Dès l'aube, Iris part vendre le piment. Elle revient dans l'après-midi. Retourne à la rivière. Quand elle se retrouve en bas, elle pioche. Elle lâche ses bras quand elle atteint l'argile. Elle recommence. Elle n'a plus peur de la forêt, n'admire plus les libellules, arrache les herbes qui envahissent le terrain. Encore l'eau à la rivière qu'il faut aller chercher, elle revient, elle arrose. Elle repart. Xa l'aide. Vers les quatre heures de l'après-midi, Xa charge la bicyclette de sacs de piment. Du haut vers le bas, du bas vers le haut. La route continuelle. Chaque jour. Planter, arroser, attendre.

La deuxième partie du livre est centrée autour du personnage de Xa, la fille d'Iris et de Dinh qui souffrira de son exil en France avant de revenir au pays sur les traces de son passé :
Elle voit un fourbi sur le gazon atrophié, dans le lointain, des sacs en plastique flottent sur l'eau de pluie. Entassés au pied du banian avec une bâche vieillie, des seaux, des caisses, et une toile de tente renversée au pied des bambous. La voiture trace son chemin vers le garage comme une île dans le brouillard. Grise comme le bâtiment de la villa grise, scellé par les années. Tout net, une vie dont elle n'a plus rien su.
La nature sauvage, hostile se dévoile à travers des odeurs, des sensations, les pluies torrentielles, l'épaisseur de la jungle. Elle englobe les personnages et révèle l'âme du pays.

Ea Sola, l'auteur, est aussi danseuse et chorégraphe. Son livre porte les traces de ce parcours. Il n'y a pas de linéarité dans son récit mais plutôt une volonté de creuser les thèmes qui lui sont chers à travers une écriture fragmentée et rigoureuse : le déchirement et l'incommunicabilité des êtres, la lutte, l'exil et la quête de soi.
Un livre singulier et exigeant qui nous plonge au cœur du Vietnam et nous fait pénétrer dans la complexité de ce pays.

Enora Bayec 
(12/09/13)    



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Maren Sell

(Août 2013)
240 pages - 18 €









Ea Sola,
née au Vietnam, est danseuse et chorégraphe. Partition silencieuse
est son premier roman.

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