L'Éternel
L'Éternel raconte l'histoire de Ionas devenu vampire une fois
mort. En proie à des questions existentielles, il se sent responsable
de tous les maux de l'univers et tente désespérément de
lutter contre sa nature de buveur de sang.
Ainsi faudrait-il, malgré ma disgrâce, mon trépas et
ma situation, que j'invente le chemin qui m'autorisera à mener ma vie
comme c'était prévu. On dévie un peu de la route, mais
on peut s'efforcer de reprendre notre place. Où est-ce écrit,
que les anges comme moi n'ont pas droit à une famille ?
Afin de se soustraire à son destin de tueur, il envisage de s'enfermer
dans une tombe pour l'éternité mais Hiéléna, la
femme qu'il aime, vit encore. Il songe que la regarder dormir, accroupi sur
son toit, suffirait à son bonheur
Il faudra faire ça chaque nuit, se dit-il. Les humains, c'est meilleur
que les bêtes. Je leur prends juste ce dont j'ai besoin, guère
plus criminel qu'un moustique, il me semble. Il faudra constamment changer de
crémerie, réfléchir aux cicatrices. Peut-être mordre
d'une seule dent, ça sera moins caractéristique. Rassasié,
je ne suis plus dangereux. Ça n'est pas la faim, c'est simplement un
transport amoureux et dépourvu de sauvagerie qui m'entraîne vers
toi, Hiéléna.
L'affaire se complique lorsqu'il découvre que son frère, Caïn,
a épousé Hiéléna et qu'un autre vampire rôde
au-dessus de leur maison...
La seconde partie du roman se déroule, des décennies plus tard,
lors de l'enterrement d'une rock-star à Brooklyn. Les vampires et autres
créatures merveilleuses lycanthrope, mandragore et amphibien
vont envahir l'existence de Rebecka Streisand, jeune veuve sexy et psychanalyste.
Cette immersion dans le quotidien de l'Américaine est vraiment savoureuse.
Joann Sfar insuffle sa fantaisie déroutante au roman de vampires et on
suit les aventures de Rebecka, attirée par Ionas, toujours aussi tourmenté.
Elle s'engage dans un périple fantasque et sensuel, traverse une étrange
forêt en moto, découvre les récits du vampire dans sa baignoire
pendant que ce dernier dort, recouvert d'un monticule de chats et qu'une mandragore
jalouse s'apprête à la tuer...
On oscille entre le film d'horreur et le rêve hallucinatoire comme dans
cette scène où les protagonistes, accrochés à la
robe du vampire, parcourent les airs et son passé, grâce à
une abominable machine qui transperce le crâne de Ionas et livre ses souvenirs
malgré lui.
Dans un craquement affreux, il enfonça la pointe barbelée de
son projecteur derrière la tête du vampire. Comme un brise-glace
dans la banquise, la machine excavatrice se frayait un chemin dans les masses
engourdies du vieux cerveau.
Ce pourrait être tragique mais c'est surtout excessif, drôle et
cru. Dès les premières pages, on retrouve la verve et le second
degré de Sfar. Les amateurs adoreront se plonger dans ces scènes
de meurtres jubilatoires ponctuées d'histoires d'amour improbables mais
si touchantes qu'on rêverait presque, qu'une nuit, un vampire vienne nous
tirer de notre lit pour nous emporter dans les airs.
Enora Bayec
(22/05/13)