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Un roman palpitant dans le décor apocalyptique du Bronx sur l'émergence du hip-hop cet art composite entre rap, graffitis et danse, venu de la rue et des gamins noirs ou jamaïcains plongés au cœur de la misère qui voulaient exister avec audace par leur improvisations et leurs excès, racontant une communauté jusque-là tenue au silence. On est en 1973. Là, parmi les gangs qui faisaient la loi, parmi ces immeubles qui brûlaient pour dégager une zone où les promoteurs immobilier imaginaient l'extension de la ville-lumière à bas prix avec une rentabilité maximale, Kool Herc, fils d'un vieux réparateur de radios et sonos, fut le pionnier, le demi-dieu, de ce mouvement artistique. Son talent était de savoir mieux que quiconque dégoter et mixer les disques de façon nouvelle et surprenante, de produire du « gros son » et de mettre en mouvement le public lors des soirées qu'il organise dans le quartier. La musique, la danse et le graff devenant une autre façon d'exister et de s'affronter. « Dans un roulis de batterie et de percussions que Kool Herc prolongeait jusqu’à ce que la foule crie grâce. [...] Il attendait deux heures du matin, l’heure la plus brûlante de la nuit, pour nouer sa boucle, rajoutant de la vitesse à la vitesse, de l’écho à l’écho, de la transe à la transe, déroulant sous les pieds de ses fidèles une terre souple sur laquelle ils rebondissaient, une terre pour rivaliser d’audace et d’héroïsme, une terre pour s’envoler, faire des vrilles et des sauts périlleux. Les mélodies s’effaçaient dans la scansion du rythme, le rythme infernal de la ville qui tremble, qui vacille et palpite, son cœur malade, son cœur vaillant, son battement obsédant, son squelette fendillé, son corps désossé, le corps maigre et juvénile de la ville qui renaît. [...] Coke La Rock ne lâchait plus le micro, et d’autres le réclamaient à leur tour, ils se pressaient autour de lui, malgré les consignes et les menaces, ils se massaient autour des platines, ils sautaient sur l’estrade, ils étaient si nombreux que le sol menaçait de s’effondrer. » Quand Norman Mailer publie dans la presse un article sur le graffiti comme œuvre d’art, c'est comme une consécration. « Nous étions des guerriers, nous allions devenir les princes du Bronx. Et de New-York. Nous étions en route. ». Et si Kool Herc refusera toujours obstinément de quitter son quartier, d'autres comme Flash qui investira Manhattan, Afrika Bambaataa régnant à l'ouest, se prennent à rêver une reconnaissance étendue. D'autant que le bouche à oreille fonctionne et que de plus en plus de cassettes pirates circulent à New-York. Mais, l'espoir est de courte durée. Quelques années plus tard, le crack a ravagé la plupart des pionniers du hip-hop. Et tandis que le hip-hop prospère aux USA puis dans le monde, donnant naissance à une industrie mondiale se comptant en milliards de dollars, eux se lamentent de n’avoir jamais rien récolté, ni argent ni reconnaissance, du phénomène qu'ils ont enclenché. Le roman, porté par la voix de Gary Jr, « un garçon à l'identité floue, ni blanc, ni noir, ni juif, ni portoricain, toujours dans l'ombre de Kool Herc durant ces années d'effervescence », avance entre luttes de gangs, violence, arnaques et rivalités, drogue et amour, découvertes et audaces, pour dire la puissance de cette vague créative que rien n’arrive à brider.
Brûle est le récit d'initiation, de révolte et de musique, d'une génération noire américaine en feu. La mystique du son, l’inflation des volumes, la technologie décrite comme outil de conquête, y sont leurs armes. Ce roman est le fruit d'une enquête minutieuse menée sur place pendant plusieurs années par Laurent Rigoulet, journaliste spécialisé pour Libération puis pour Télérama qui a rencontré ainsi à New York les principaux protagonistes de la scène rap. D’une exactitude impressionnante en ce qui concerne le contexte, la chronologie, les acteurs et les détails, le roman se détourne néanmoins du documentaire pour faire acte littéraire. L'auteur y prend le temps, en marge du déroulé de l'action, d’évoquer le terreau où cette aventure a pris racine, de dire les contributions oubliées de « la circulation de la musique et de la pensée noire » entre la Jamaïque et l'Amérique mais aussi à l'intérieur même des États-Unis, comble enfin les trous du récit fondateur « qui ne repose que sur des souvenirs, sur de l'oralité, puisque rien n'a été enregistré », que « c’était un mouvement en action, qui ne se regardait pas ». Le narrateur Gary Jr, témoin purement fictionnel, nous immerge dans l’intimité du mouvement naissant et de Kool Herc, nous positionnant comme il l'était lui-même en spectateur privilégié face à ce personnage hors norme et ses rivaux,que l'auteur par son livre veut réhabiliter. Si ces pionniers du hip-hop n'ont jamais bénéficié du fruit de leur art, si ces fondateurs qui n'ont cessé de puiser dans la mémoire collective et les pièces oubliées chez les disquaires autant que dans leur présent ont été remisés dans l'oubli par leurs successeurs, qu'au moins justice leur soit rendue. « J’avais la possibilité par le roman d’en faire des personnages mythiques, de leur rendre hommage en leur donnant une dimension héroïque qu’ils n’ont pas eue » déclare l'auteur lors d'une émission à France-Inter. Mais outre cette somme musicologique, ce roman est aussi celui du Bronx dans le années 70, des habitants qui y survivent, de cette jeunesse sans avenir et pleine de colère qui hante les décombres des immeubles ravagés par les flammes, de ces quartiers des grandes villes américaines symboles de la pauvreté, devenus ghettos de la population noire. Un roman incarné et puissant à l'écriture précise, imagée et bien évidemment rythmée. Un texte nourri par la poésie de l'Amérique noire et la parole du ghetto, des pasteurs et des armes. Dominique Baillon-Lalande |
Sommaire Lectures Don Quichotte (Août 2016) 304 pages - 18 €
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