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Yves RAVEY
C'est alors que Freddy, un cousin que les enfants n'ont jamais connu qu'en
photo dans l'album de famille, débarque. Avec ses tatouages sur les bras
et son vieux chien. Le moins qu'on puisse dire, c'est que l'accueil de Martha
est glacial. Elle chasse immédiatement le visiteur, faisant promettre
à son fils de ne pas lui adresser la parole et à sa fille de ne
même pas l'approcher. Il faut dire que l'homme, "un simple d'esprit
tout juste capable d'écrire", autrefois ouvrier dans l'entreprise
de serrurerie du père, vient de sortir de la prison où il était
incarcéré pour le viol d'une enfant, une copine de classe de Clémence.
Un fait divers qui avait chamboulé toute la population locale, une quinzaine
d'années plus tôt. Martha enrage, tremble et n'en dort plus. "Il n'y aura pas de sécurité
pour Clémence tant que cet homme sera en vie" se dit-elle en
permanence. Il faut dire que la présence régulière de Freddy
au Jolly Café, en face du lycée, à regarder s'égayer
les adolescentes, n'est pas faite pour la rassurer. Les journées passées
à la pêche en compagnie de son chien, près du barrage, non
plus. Clémence, ne va-t-elle pas parfois s'y étendre à
moitié nue pour y bronzer ? C'est alors qu'un soir tout bascule : l'adolescente censée être à une soirée de fête avec ses amis chez son amoureux, a disparu... L'histoire nous est rapportée par le frère de Clémence, un personnage en marge de l'action, qui, dans un style indirect livre son récit comme une déposition au commissariat. Ce n'est jamais de lui, dont nous ne saurons que peu de chose, qu'il parle mais des protagonistes-clés que sont sa mère, Clémence, Freddy et le notaire. Mais il est aisé, derrière la description des mouvements, des attitudes et des faits qu'il relate, de deviner les sentiments de chacun, de sentir la rancur et la suspicion tapies derrière l'angoisse, de pressentir les secrets enfouis dans les mémoires, de douter de l'évidence qui semble s'imposer. L'auteur privilégie à l'investigation psychologique l'ancrage social et quasi matérialiste. Rancurs de classe et de famille, réinsertion des ex-détenus, délinquance sexuelle ou conditions d'hébergement des immigrés travaillant à l'agrandissement du tunnel ferroviaire parqués dans des wagons transformés en dortoirs, viennent parasiter la quiétude apparente, avec en filigrane le rapport dominant/dominé dans lequel tout cela s'inscrit. Le cadre, cette petite ville de province repliée sur elle-même,
confite dans son isolement où valeurs, préjugés et poids
des notables semblent immuables comme dans les films de Claude Chabrol, est
un élément essentiel qui installe le récit pour mieux faire
monter la tension, progressivement. Les questions s'accumulent, le malaise s'installe
et la conscience d'un obscur danger qui pourrait mettre à bas les tranquilles
certitudes et faire tout déraper finit par s'imposer. L'engrenage infernal
s'est mis en place, une violence larvée mine les relations inter-individuelles,
et rien ne pourra dès lors stopper le compte à rebours avant l'explosion.
Tout est fait pour aller droit à l'essentiel avec, sous couvert d'une
simplicité immédiate mais trompeuse, une imparable efficacité
: un style sobre, des dialogues qui se fondent dans le récit, un jeu
subtil de l'ellipse, un rythme nerveux, une construction implacable, une densité
qui prépare magistralement l'implosion. Un faux roman noir et un vrai roman social, ou l'inverse, peu importe, qui sollicite sans faiblir la curiosité du lecteur, pour un plaisir sans partage. Dominique Baillon-Lalande (04/05/13) |
Sommaire Lectures Editions de Minuit (Janvier 2013) 112 pages - 12 €
sur Wikipédia Découvrir sur notre site d'autres romans du même auteur : Cutter Enlèvement avec rançon |
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