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Saturnino Bayo dit "Couto", jeune maquisard ayant participé à la lutte contre les Portugais dans les années 70, a ensuite, mêlant résistants et musiciens, créé un groupe rock nommé "Super Mama Djombo". Ils composent une musique aux sonorités nouvelles portée par l'élan et la fierté du tout nouvel État de Guinée-Bissau et offrent des chansons vantant les exploits d’Amilcar Cabral, le "Che Guevara guinéen" mort assassiné, les luttes et l'indépendance. Un choc dont ni l'amant trahi ni ses compagnons ne se remettront. Le groupe, avec le départ de celle dont la voix envoûtait le public et la rue et dont la présence galvanisait les musiciens, malgré diverses tentatives d'évolution, ne retrouvera jamais l'enthousiasme et l'efficacité qui leur valurent la notoriété et ce formidable engouement au-delà des frontières. Les rockeurs finirent donc par se disperser vers d'autres horizons géographiques ou d'autres activités. Trente ans plus tard, Couto, encore considéré comme le "dutur di biola" (grand docteur de la guitare) et le grand patron de cette aventure mais « n’en gardait pas de vanité, moins encore de nostalgie, plutôt l’éternelle hilarité de ceux à qui la chance avait souri », cumule les petits boulots et mène une vie simple. Et quand il reprend son instrument c'est par plaisir pour jouer dans les bars pour un public local de nostalgiques et de gamins ou pour les touristes venus le solliciter. Mais voilà que le jour précis où un concert de "retrouvailles" des vieux rockeurs a été programmé au Chiringuitó, ce bar populaire que le noyau dur de l'équipe n'a jamais cessé de fréquenter, alors que Couto se trouve au lit avec Esperança, sa sulfureuse et superstitieuse maîtresse, il apprend par la radio la mort de Dulce. La soirée sera un feu d'artifice avec un retour enflammé des anciens de Super Mama Djombo donnant un de leurs concerts les plus émouvants en mémoire de leur amie et en résistance à la prise de pouvoir autoritaire qui s'annonce, tandis qu'en écho, le célèbre groupe de rap Thioume C imposera à son public lors de son propre concert une minute de silence en mémoire de "la divine Dulce", rendant hommage à son groupe chantre de l'indépendance et de l'identité nationale. « I muri gosi, elle est morte maintenant » et en disant ces mots, il ne savait plus « si c’était à Dulce qu’il pensait ou à la ville éclairée de tirs de roquette, aux espérances d’une époque qui finissait. » En toile de fond, omniprésente, se dessine l’Histoire de la Guinée-Bissau qui au lendemain de son indépendance s'imaginait une vie de liberté et de prospérité pour voir bien vite ses rêves confisqués par des chefs politiques avides et autoritaires, des « bouffeurs transformés en valets des narcotrafiquants ». Ce roman est aussi celui de la désillusion amoureuse et politique, nimbé de saudade à la portugaise, d’autodérision, de trahisons et de fierté bafouée. Mais, en parade à la mélancolie et la nostalgie, positionnée en embuscade, la jeunesse, avec ses voyous flamboyants prêts à en découdre, ses filles sensuelles et insolentes faites pour l'amour et le plaisir, ses rappeurs arrogants avides de gloire, de liberté et de colère, apporte par son obstination et son appétit de vie d'infimes lueurs d'espoir. Profondément ancré dans la culture africaine et l'humain, ce récit historique, politique, sociologique, culturel et amoureux, est porté par une écriture chaude mêlant créole, argot, dans un enchevêtrement de dialogues et de monologues introspectifs. Son rythme vif, son pouvoir d'évocation, son énergie voire sa brutalité ponctuelle, constitutifs du rock, impriment au tableau de cet État de l'Afrique de l'Ouest à l'histoire mouvementée, une palette de couleurs, une vivacité et une intensité singulières. Une belle découverte. Dominique Baillon-Lalande |
Sommaire Lectures Gallimard Collection Arbalète (Août 2014) 256 pages - 19,50 € Prix Georges Brassens 2014
Sylvain Prudhomme, |
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