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Chantal PELLETIER

Signoret
ou la traversée des apparences



Chantal Pelletier a un grand talent pour nous faire partager l’existence de femmes aux parcours atypiques. C’était déjà le cas avec Cinq femmes chinoises ou Et elles croyaient en Jean-Luc Godard dont les personnages exprimaient leur soif de liberté ou de réussite, leurs ambitions, leurs talents, leurs passions, leur manière de profiter de toutes les rencontres susceptibles de les accompagner sur leur chemin...
Ici, le regard se porte sur Simone Signoret (1921-1985) et ce n’est pas seulement une biographie, c’est surtout la mise en lumière des diverses facettes d’une femme d’exception.

« Brillante, ambitieuse, femme de tête qui n’en faisait qu’à la sienne, Signoret a commis à peu près tous les péchés capitaux que notre société vingt-et­-unièmiste interdit aux idoles féminines du septième commerce et à celles qui veulent leur ressembler : fumer et picoler tant et plus, râler, se mouiller en se mêlant des affaires du monde, rester fidèle à un seul homme publiquement volage, laisser grimper la ride et tomber la chair, tâter de la plume sans chougner auprès d’un nègre, s’imposer à la fois comme intello chef de bande, femme de lettres et grande figure populaire, brûler toutes ses cartouches sans précaution ni artifice pour s’affirmer jusqu’au bout comme un lingot d’humanité pure. »

Au fil d’un parcours balisé par les titres de chapitres – Casque d’or, Montand, Le roman politique, Le chat, Chef de bande, femme de lettres – nous découvrons l’indépendance de sa pensée et la force de ses décisions.

La comédienne n’a pas toujours choisi la facilité et n’a pas cherché à tricher sur son âge ou son apparence. Sa carrière est parsemée de films de qualité mais les paradoxes ne manquent pas. Ainsi Casque d’or, dont l’image reste dans tous les esprits n’a pas été un grand succès à sa sortie. « Le public était-il mal à l’aise de se trouver devant une tragique histoire d’amour alors qu’il attendait un polar ? » Par contre le film est apprécié à l’étranger et Simone Signoret est nommée, en Angleterre, meilleure actrice étrangère de l’année. Les récompenses ne lui manqueront pas : Prix d’interprétation à Cannes et Oscar de la meilleure actrice pour La maison de la haute ville (alors que les autres nomi­nées sont Katharine Hepburn, Audrey Hepburn, Doris Day et Elizabeth Taylor), Ours d’argent à Berlin pour Le Chat, César de la meilleure actrice pour La vie devant soi… Mais ce que Chantal Pelletier met en lumière c’est la façon dont la comédienne a accepté (et fait triompher) une nouvelle silhouette, une « gueule », pour des rôles aux prises avec l’âge, l’alcool, le tabac, le malheur comme dans Le chat (avec Gabin), La veuve Couderc (avec Delon) ou La vie devant soi.

L’amoureuse, c’est bien sûr en référence à Yves Montand pour qui elle éprouve un véritable coup de foudre dans une auberge de Saint-Paul de Vence. Leur relation sera tumultueuse. Montand est charmeur et désiré par beaucoup de femmes, il en jouera gaillardement mais l’amour de Simone résistera à toutes les épreuves et elle ne cessera jamais de rebondir et de l’étonner.

La femme politique, c’est venu peu à peu, au fil des événements et des personnes qu’elle croise.  « Ses rencontres avec Sartre, Beauvoir, Prévert, sa liaison avec Marcel Duhamel – traducteur-éditeur qui crée notamment la Série noire chez Gallimard –, son compagnonnage avec Yves Allégret – secrétaire de Trotsky en 1935 et dont le frère Marc est un proche d'André Gide –, la familiarisent avec un univers d'artistes et d'intellectuels qui resteront ses modèles. » Les débats seront houleux dans l’appartement du couple (notamment avec les frères, militants communistes, d’Yves et de Simone) puis dans leur maison de Normandie avec tous les amis, souvent très engagés, qu’ils y reçoivent. Les voyages, les tournées dans le monde, en URSS ou aux Etats-Unis, les rencontres avec les chefs d’état, sont-ils compatibles avec ce qui se passe dans ces pays et avec leur politique intérieure ou extérieure, avec le Maccarthisme aux USA, les chars soviétiques à Budapest en 1956 ou à Prague en 1968 ? Le choix est difficile mais il  faudra choisir…

Chantal Pelletier met aussi en lumière le talent d’écriture de Simone Signoret, le travail qu’elle a accompli pour parvenir à La nostalgie n’est plus ce qu’elle était. « Commencé comme une série d’entretiens réalisés un été dans la maison d’Autheuil par l’écrivain Maurice Pons, le livre est d’abord un gros dossier de six cents pages de papier pelure rose dactylographiées. Pons et Signoret en entreprennent la lecture. Le résultat leur convient si peu qu’ils décident d’abandonner l’idée d’un livre. »  Après quelque temps, Simone Signoret a repris le manuscrit seule et, au prix d’un travail très personnel, en a fait ce qu’il est devenu. « Dans l’effervescence, naîtra un livre qui lui ressemble : beaucoup plus que des mémoires d’actrice lissés et banalisés par un nègre, c’est un texte composite bien vivant, qui garde parfois la première structure questions-réponses, la réinvente aussi puis s’en évade, s’envole, s’anime, s’amuse. Les scènes prennent vie. Simone sait saisir les détails qui donneront rythme et piquant au récit. » Ensuite il y aura aussi Adieu Volodia. Encore un succès, encore une façon d’épater Montand…

Chantal Pelletier, de son écriture vive et sans complaisance, nous offre un superbe portrait de femme, ses désirs et ses espoirs, ses doutes et ses engagements, ses succès et ses combats, une femme qui ne baisse jamais les bras, ni sans sa relation avec Montand ni dans sa carrière d’actrice, malgré toutes les difficultés qu’elle peut y rencontrer, une femme qui affronte le réel sans abandonner ses rêves.  Un bel hommage de Chantal Pelletier, écrivaine talentueuse, comédienne et passionnée de cinéma, à une autre femme, tout aussi passionnée, devenue un modèle ou un repère pour une ou plusieurs générations. Une belle rencontre pour un livre intelligent dont la force réside autant dans l’écriture que dans le point de vue et le sujet.

Serge Cabrol 
(17/09/15)   



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Éditions des Busclats

(Septembre 2015)
108 pages - 12 €








Chantal Pelletier,
née à Lyon en 1949, membre des Trois Jeanne au théâtre, est l'auteur de nombreux romans parus dans la Série Noire et chez Joëlle Losfeld ainsi que d'ouvrages pour la jeunesse.


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de l'auteur :
http://chantal
pelletier.free.fr






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