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Christian OSTER


Le cœur du problème



«Pour dire les choses vite, quand je suis rentré chez moi ce soir de juillet, il y avait un homme mort dans le salon. Pour les dire plus précisément, l’homme était allongé sur le ventre, à l’aplomb de la mezzanine où nous avions notre chambre, Diane et moi, et dont j’ai vu que la balustrade avait cédé.»
Ainsi commence ce roman, nous confrontant directement à une situation pour le moins insolite !

Premier indice à propos du "cœur du problème" ?
Le narrateur trouve sa compagne en train de prendre un bain, ce qui le choque, pour lui annoncer ensuite : « Il faut que je parte a-t-elle repris, j’ai besoin de savoir si tu peux rester, toi, faire comme si je n’avais pas été là, et qu’il n’y ait jamais eu que ce, a-t-elle hésité, ce corps en bas, a-t-elle dit, et alors tu préviens qui tu veux ou non, tu fais ce que tu veux dans la direction que tu veux, mais pas moi.», ce qui le déconcerte !
Malgré sa contrariété, et son trouble légitime, il va commencer à chercher un moyen de faire disparaître celui qui lui a été si inopportunément laissé sur les bras. « Autant dire que, pour la première fois, en tout cas de manière frontale, j’ai pensé à la police. Et c’est comme ça que, en plus de ce que à quoi je devais m’adapter depuis ma découverte du corps et le départ de Diane, j’ai dû m’arranger avec la honte, et j’ai essayé de dormir. »
 
Alors il va se décider, après force tergiversations, à enterrer le corps sous le carré de tomates de son jardin. Une solution qui lui paraît acceptable, du moins provisoirement, afin de ne pas dénoncer sa compagne (très rapidement ex), et pour ne plus "voir" le problème.

Néanmoins n’ayant toujours pas de nouvelles de Diane, il va déclarer sa disparition à la gendarmerie.
Deuxième et ambigu point de départ de l’histoire…
Car il y rencontre un gendarme, Henri, qui va tisser avec lui, un lien qu’il ne pourra ou ne cherchera pas à éviter. Peur de paraître suspect, ou de laisser voir malgré lui cette culpabilité anxieuse qui ne le quitte pas ? Cette relation, vaguement amicale, va se poursuivre, et toujours à l’initiative du gendarme, homme apparemment débonnaire et, comme nous l’apprendrons incidemment, récemment retraité. 

Avec toutes les nuances possibles, le narrateur "habité" par ce cadavre qu’il essaie parfois d’oublier, nous prend à témoin, et nous fait part de ce qu’il pense, décide ou subit. Il continue ses activités – « J’ai essayé donc. J’étais conférencier. Dans la réalité pas en rêve. Ça ne payait pas trop mal et ça me laissait du temps. Non que j’eusse besoin de temps. Je l’occupais mal, mon temps. Je m’efforçais surtout de le retenir. » –, fuit ses amis, et cherche toujours des réponses. Nous décrivant alors scrupuleusement les différents moments de son pénible et chaotique quotidien.
« Tout de même, avant de me réfugier dans la maison, je suis retourné au potager. L’emplacement avait l’air net. Le mort ne repoussait pas, mes tomates ne piquaient pas du nez. J’ai de nouveau ameubli la terre et je suis rentré. »

L’histoire se poursuit, Diane finit par lui répondre. Sa relation avec le gendarme Henri se resserre, insidieuse, et nous intrigue de plus en plus.
« Je passe sur la soirée, je passe sur la nuit. Je saute la matinée. Je résume quand même en confirmant qu’à aucun moment, comme on s’en doute, je ne m’étais senti chez moi. Je m’y étais néanmoins tenu. J’avais occupé physiquement l’espace. De façon tantôt mobile, tantôt non. Moins mobile qu’immobile. »
Nous continuerons à l’accompagner, notre curiosité reste active jusqu’à la fin. Après avoir revu Diane un moment : « Je souffrais davantage. En même temps, ça me libérait. L’idée de la revoir, dans une minute ou dans six mois, me pesait. Elle devait penser la même chose, j’imagine, et la synthèse de tout ça, c’est que nous nous débarrassions de nous. Il n’empêche, le vide était là. Et la frustration. Celle de ne pas mieux comprendre surtout. De quelle façon on en était arrivés là. »

Au fil de notre lecture, si le suspense peut demeurer un aiguillon important, il ne constitue plus le charme principal de cette histoire, car l’écriture en s’entrelaçant harmonieusement avec elle, nous séduit et nous attache inexorablement au récit.
Les autres personnages sont montrés à travers les pensées du narrateur, il les décrit dans leur contexte mais toujours, bien sûr, à travers son prisme émotionnel.  
Car ce qui est particulièrement intéressant chez Christian Oster, c’est cet "air" original, cette "nature" de l’écriture. Une apparente simplicité, combinée avec un rythme vivant qui s’accélère ou ralentit, donne la juste note, la juste mesure. Comme la respiration si personnelle de son personnage ! (Qui arrive à nous faire croire que nous l’entendons réfléchir…) Un souci de la précision, jusque dans les moments plus anecdotiques : « Il s’agit d’une femme grande, un peu plus que moi, au corps délié, au visage d’une beauté régulière, plutôt rare mais moins rare que régulière, au point que le regard ne s’y accroche pas, s’y perd, dérape dans une sorte de transparence ou de pureté avant de se retenir à la saillie de l’œil, extraordinairement bleu et dont on se demande, naturellement, s’il abrite quoi que ce soit derrière sa liquidité, à moins qu’à la pureté ne se substitue ici une dureté, je ne sais pas. »
Et aussi parce que des phrases courtes, parfois suivies de très longues, accompagnent les mouvements, comme les arrêts, de ses pensées. La retranscription des sentiments, leur lucidité et leur confusion, parfois extrêmes, rendent cette intimité possible, et bien que paradoxalement ici, le lecteur pourrait avoir du mal à s’identifier !
Légèreté en apparence, sur des fondations que l’on soupçonne profondes, quelques touches d’humour discrètement voilées… ce roman nous laisse un parfum singulier, composé d’une rare adéquation entre le verbe et le rythme.
Il nous régale de la première à la dernière page ! Et nous donne, aussi, l’envie de lire à haute voix.

Anne-Marie Boisson 
(10/09/15)    



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Lectures








Editions de l'Olivier

(Août 2015)
192 pages - 17 €








Christian Oster,
né à Paris en 1949,
est l'auteur d'une quarantaine de livres pour la jeunesse et pour les adultes. Il a obtenu le Prix Medicis en 1999 pour Mon grand appartement.







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