![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
Retour à l'accueil du site |
1958. Mortimer Thompson, ancien journaliste devenu détective privé à La Nouvelle-Orléans, s’ennuie dans son bureau quand Alfredo Jiménez, modeste professeur d'histoire à Cuba, franchit sa porte pour lui confier une bien étrange mission : le chef du « Comité pour la République Cubaine » où il milite a disparu récemment fort étrangement et son propre fils Jorge âgé d'à peine 25 ans a été élu pour lui succéder. Mais le client a l'intuition qu'une taupe est derrière toute cette affaire. Il envisage donc de faire infiltrer le groupe révolutionnaire par un élément extérieur apte à faire la lumière sur cette étrange et brutale disparition et à en démasquer le coupable éventuel pour protéger son fils désormais en première ligne. C'est à exactement dix mois de la chute du dictateur Batista que Mortimer atterrit sur le sol de la capitale cubaine où, derrière la carte postale du paradis pour touristes yankees, troubles et effervescence se font déjà sentir. Révolté par ce qu'il entrevoit dans les rues, (pouvoir en place qui « prostitue [l'île] au profit d’intérêts étrangers, livrant ses frères aux appétits cannibales des capitalistes américains », vague intense et violente de répression contre les opposants, cadavres qui se multiplient sur les trottoirs, etc.), le détective, hébergé par Alfredo et son fils, avec lesquels il tissera assez vite des liens d'amitié, finira par se prendre au jeu et faire siens leur révolte, leur cause et leurs projets.
Avec réalisme, à partir d'une solide documentation et ce qu'il faut de couleurs et de ferveur, Nikos Maurice nous dépeint les années d'effervescence du pré-castrisme, de l'implosion de la dictature à la révolution, en s’arrêtant sur les dissensions existantes entre les différents courants politiques en lutte contre le régime en place. Dans un tableau contrasté, le narrateur nous entraîne sous la chaleur moite à sa suite, du hall d'un grand hôtel de luxe aux quartiers populaires où s'étalent la misère et la ségrégation raciale, dans cet univers violent où les jeunes filles se font violer, les prostituées violentées, les opposants pendre. Et, face à l'indifférence, la superficialité ou l'attitude coloniale insolente des touristes, face à la corruption, à la cupidité partagée par la mafia avec ses casinos et ses trafics et par le monde des affaires venu ici remplir ses poches, face aux exactions d'une dictature en bout de course, c'est toute unepopulation qui se livre, sensuelle et nonchalante, dont les corps dansants s'adonnent à la fête et au rhum qui fait oublier les difficultés, l'épuisement et la peur, qui permet de rêver au jour où chacun pourra justement profiter du fruit de son travail pour vivre libre et dignement. Le détective privé moins classique qu'il ne le paraît à première vue est attachant et son récit à la première personne est vif et plein d'humour. S'il use d'abondance, dans son aptitude à la répartie et à la provocation, de formules faciles comme « Il était discret comme des chaussures bicolores dans une mosquée » ; « J’ai toujours eu du mal à verbaliser, je laisse ça aux flics de la circulation » ; « L’hypothèse tenait debout – mieux que moi à cette heure de la nuit », d'autres s'adaptent parfaitement au contexte et tombent juste à propos : « faire de l'entrisme sous le nez d'un ancien trotskiste, c'est aussi absurde que de grimper à un arbre pour impressionner un singe » m'a par exemple paru d'une certaine originalité et beaucoup fait rire. Mais toutes, légères ou avec un fond plus sérieux, provoquent un sourire en contrepoint de la tension, des inquiétudes et des drames et contribuent à la vivacité du style autant qu'elles caractérisent le personnage. L’emploi de nombreux termes latino américains participe aussi à l'aspect ludique et charnel de l'écriture venant contrebalancer la rigidité des débats politiques et le poids des événements. Ce roman pluriel à la croisée des genres (roman noir, roman d'aventures avec son lot de situations rocambolesques, récit historico-politique et roman d'amour), dose avec un savant équilibre psychologie, descriptions, documentation, débats politiques et actions, pour recréer de façon vivante et passionnante l’atmosphère locale bouillonnante et paradoxale de l'époque et du lieu. Dominique Baillon-Lalande (07/03/16) |
Sommaire Noir & polar ![]() La Différence Collection Noire 432 pages, 22 €
|
||||||