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Nguyên NGOC TU


Immense comme la mer



Depuis, au milieu de la multitude des hommes immense comme la mer, Phi a rencontré bien des visages, échangé des plaisanteries et des rires avec eux ; il a chanté pour eux, trinqué avec eux jusqu’à l’ivresse…

La première nouvelle, très courte, de ce recueil, La Nostalgie du Fleuve, donne le ton des sept autres récits qui suivent. Ils seront tous imprégnés de la vie du fleuve Cai Lon, un des bras du bassin occidental du Mékong, où sur de misérables sampans, des familles essaient de survivre. La plupart font commerce de ce qu’elles pêchent ou cultivent ou élèvent sur de misérables lopins de terre jouxtant le fleuve et ses innombrables arroyos. Certains de leurs membres vont jusqu’à regagner la terre ferme définitivement pour travailler dans des estaminets disséminés au long des rives ou se louer comme moissonneurs ou suivre des troupes de comédiens itinérants, le fleuve toujours omniprésent.

Des couples se font et se défont au gré des déambulations de leurs embarcations et des malheurs qui les frappent. Des hommes, des femmes cherchent des êtres chers qui ont fui la vie trop dure et trop précaire qu’ils menaient, d’autres ne cherchent plus, mais sont liés définitivement à l’eau qui a englouti leur cœur en même temps qu’une personne aimée.

Le poids des traditions, mariage arrangé, respect des anciens, les déchirements de la guerre et la mise en place du régime communiste ne sont jamais directement évoqués mais intrinsèquement mêlés aux remous du fleuve et pèsent lourdement sur la vie des personnages dont les noms, les lieux, les métiers s’entremêlent d’une nouvelle à l’autre.

On se souviendra de l’immense nostalgie de la petite Gian pour l’eau du fleuve qui a englouti sa maman et de son impossibilité à quitter le sampan familial même mariée à un homme « terrestre ». On restera marqué par le chagrin fou de ce beau-père qui erre à la recherche de la petite Cai qu’il a élevée. Elle n’a jamais osé revenir chez elle après avoir perdu les deux buffles qu’elle était chargée de surveiller, seule richesse de la famille. Les chagrins d’amour sont aussi immenses que le fleuve et la foule qui y vit, celui de cet homme  qui a quitté la femme qu’il aimait  après la mort de leur enfant pour épouser celle que son père lui destinait mais dont l’âme s’échappait vers les fleuves qui roulent leurs eaux sans fin ou de ce jeune homme, modèle de piété filiale mais qui, trop pris par sa passion pour les échecs, laisse sa promise en épouser un autre et désespéré ne voit pas qu’une autre se morfond pour lui.

C’est dans une écriture aussi simple que les vies qu’elle décrit, entrecoupée de dialogues réalistes teintés de beaucoup de fatalisme que Nguyên Ngoc Tu nous fait découvrir tout au long du fleuve, ces destins entrecroisés, cette même vie jour après jour, ainsi, sans fin. Avec le courant, contre le courant, les eaux étales, les étiages […] pas un arroyo, pas un petit ruisseau où leur sampan ne fût passé...

Sylvie Lansade 
(20/04/15)    



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Lectures









L'Aube

(Janvier 2015)
192 pages - 16,80 €


Traduit du vietnamien
par Tây Hà







Nguyên Ngoc Tu,
née en 1976 au Viêt-Nam, dans le delta du Mékong, où elle vit toujours, a reçu plusieurs distinctions, dont le prix des Écrivains de l’Asie du Sud-Est et le prix des Écrivains vietnamiens. Elle est déjà traduite en coréen, en suédois et en anglais.