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Philippe NAPOLETANO


Alors j'étais mort et je vous observais


C'est à un bien étrange réveillon que nous convie l'auteur, le réveillon traditionnel d'une famille réunie autour des huîtres, du chapon et du sapin mais aussi un réveillon exceptionnel puisqu'il sera le dernier pour le narrateur qui a décidé de mettre fin à ses jours en rentrant chez lui.
J'ai pris ma décision il y a déjà deux mois : je vais cesser de vivre. J'ai choisi la date de ce soir. Parce qu'il faut bien en choisir une, je présume. Je présume qu'un suicide ne se réalise pas spontanément, qu'il est le résultat d'un long mûrissement. […]
Mon suicide n'est pas un appel au secours. Mon suicide est un appel à rien du tout. Mon suicide n'a aucun sens. C'est seulement l'aboutissement inéluctable de mes quatre dizaines d'années passées à exister. C'est tout.

Le réveillon se déroule chez les parents avec les trois enfants, le narrateur, Nathalie, sa sœur, et Pierre, le frère aîné, venu avec sa femme, Juliette. Pas de petits enfants.
Nathalie se demande quel grand-père il aurait fait. Elle se demande pourquoi ni elle, ni ses frères n'ont fait d'enfants. Elle trouve étrange que sur trois frères et sœurs, aucun n'ait d'enfants.
Cette famille aurait-elle raté quelque chose, pour qu'aucun n'ait envie de procréer ? Auraient-ils tous perdu ce reste d'instinct qui tint naître le besoin d'enfants, pour poursuivre la lignée ? Seraient-ils chacun à ce point désespérés, pour ne pas vouloir (ou pouvoir) faire paraître une nouvelle vie ?

Beaucoup de questions, par la pensée seulement parce que la famille fonctionne toujours sur le non-dit. On s'interroge en silence, on rumine, on revoit des scènes du passé. Chacun est conscient que tout ça est artificiel mais il faut que le réveillon se déroule sans problème. La scène fait penser à une tribu réunie autour d'un feu.

On découvre peu à peu la personnalité de chacun et les relations qui unissent les uns aux autres.
Nathalie est l'artiste de la famille, une "performeuse-plasticienne". Son père, qui l'adore, a perçu très tôt une "fêlure" dans le comportement de sa fille. Elle est gênée d'être la préférée de son père et de laisser sa mère indifférente. Elle parle de son travail mais ce qu'elle dit n'intéresse personne.
Pierre se veut "rassurant et énergique". Il est très attaché au "concept de famille" mais sa vie de couple n'est pas un long fleuve tranquille. Juliette a voulu le quitter mais elle n'en a pas eu le courage. Elle "traverse les jours, corsetée d'angoisse et pétrie d'espérance. Elle n'a pas d'ambition autre que celle de mener une existence normale".

On mange la bûche, on échange les cadeaux… Joyeux Noël à tous !
Ensuite chacun repartira vers son destin et on les suivra un moment, jusqu'à… la dernière page.

L'écriture est intéressante, éclairant chaque personnage tour à tour, émaillant le réveillon de quelques flash-back révélateurs, une écriture de l'intime, livrant les gestes et les pensées, ce qu'ils pensent d'eux-mêmes et ce qu'ils pensent des autres, alternant le regard intérieur de chacun – puisque la communication entre eux est limitée au strict minimum – et un regard extérieur qui nous permet, comme sur une scène de théâtre, d'avoir une vision d'ensemble et de percevoir ce qui les unit… ou les divise… comme dans toutes les familles…
Certaines phrases résonneront certainement avec un timbre particulier dans l'esprit de chaque lecteur. Voilà un roman qui ne manquera pas de toucher tous ceux qui auront la bonne idée de s'y plonger et certains y repenseront peut-être au prochain réveillon. Par contre, il n'est pas conseillé de le poser au pied du sapin, ce pourrait être mal interprété !

Serge Cabrol 
(07/08/13)    



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D'un noir si bleu

(Mai 2012)
132 pages - 16 €








Philippe Napoletano,
né à Grenoble en 1966, nouvelliste et romancier, a déjà publié sept livres.