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Le roman se passe chez les Mulongo. Leurs ancêtres, fuyant leur pays
natal pour l'intérieur des terres afin d'échapper à la
mort, ont installé là leur communauté qui depuis vit cachée,
enclavée et repliée sur elle-même. C'est un clan pacifique,
en quasi autarcie, qui ne dispose d'un corps de guerriers que pour chasser et
se livrer aux pratiques rituelles lors des cérémonies. Si certains
d'entre eux commercent à minima avec les Bwele, leurs plus proches voisins,
la plupart ignorent tout du continent que foulent leurs pieds et de la mer qui
le borde, de ceux qui le peuplent, de l'existence d'autres continents et d'autres
peuples de par le monde. Ebeise, épouse de Mutimbo, vieille matrone du clan, gardienne des usages
ancestraux, seule femme siégeant au conseil des sages, suggère
que les mères des disparus soient éloignées de la communauté.
En les mettant en quarantaine dans une case à l'écart du village,
elle cherche à éviter que leur chagrin ne se répande et
fragilise la communauté qui a besoin de forces intactes pour panser ses
plaies et rebâtir ce qui a été détruit. Elle espère
également que les recluses, pleines d'interrogations, parviendront ainsi
à briser leur solitude, s'apportant mutuellement le soutien dont elles
ont besoin pour dépasser le drame. Musima, fils de Mutimbo ministre du culte du village enlevé avec les
adolescents, se sent démuni face à la lourde charge qui lui incombe
en l'absence de son père : interpréter les signes et dialoguer
avec l'au-delà pour éclairer les décisions du conseil et
aider chacun dans cette épreuve. D'autant que l'esprit de l'ancien s'obstine
à demeurer désespérément muet, lui refusant toute
aide. Son esprit serait-il encore prisonnier de son corps et lui encore vivant
? Mukano, le chef du clan Mulongo est lui aussi dépassé. C'est
un homme respectueux des règles et coutumes qui a choisi le consensus
et la négociation comme mode de gouvernement. "Depuis sa fondation,
la devise du clan dit : je suis parce que nous sommes." Et pour Mukano
"ne pas tenter l'impossible pour retrouver les disparus, revient à
livrer au néant un morceau de soi-même." Mais les membres
du conseil optent majoritairement pour l'hypothèse d'une épreuve
envoyée par les dieux en punition de fautes commises par les mères.
Parmi eux se trouve son demi-frère Mutango. L'homme, se sentant depuis
toujours spolié, du fait que seule la mère de Mukano était
de sang royal, par la coutume qui veut que le pouvoir se transmette chez eux
par la lignée maternelle, lui voue une haine féroce. Le chef qui
connaît le manque de scrupules, le goût de la richesse et du pouvoir
de cet être brutal et sournois qui est prêt à tout pour prendre
sa place, sait aussi l'opposition qu'il entretient contre lui au sein du conseil.
L'affronter en ces circonstances dramatiques lui paraît présenter
des risques graves de dissolution du clan. Mutango le traître, flairant l'opportunité de faire alliance personnellement
avec les Bweles pour discréditer son demi-frère et prendre le
pouvoir, se rend de nuit chez eux pour rencontrer leur reine et négocier
son concours. Son aveuglement lui sera fatal. Certains de ses membres, plus clairvoyants ou plus chanceux, échapperont
aux mailles du filet ou au massacre : la vieille Ebeise avec Ebusi qu'elle a
pris sous son aile, l'audacieuse Eyabe qui au bout de son voyage trouvera les
clefs nécessaires à la compréhension du drame qui s'est
abattu sur le clan Malongo, des hommes trop faibles pour faire la traversée,
invendus et abandonnés comme prisonniers aux Isedu, ces habitants de
la côte qui s'enrichissent du commerce de leurs frères... Tous
témoins. C'est à Bebayedi, un village sur pilotis construit au cur des
marécages qui recueille les survivants de communautés diverses
en toute sécurité grâce à l'hostilité de leur
environnement naturel, que Eyabe rencontre Bana, un étrange enfant en
lien avec l'esprit des disparus qui la guidera dans sa quête. Bebayedi
est "un espace abritant un peuple neuf, un lieu dont le nom évoque
à la fois la déchirure et le commencement". "Ici,
les souvenirs des uns se mêlent à ceux des autres pour tisser une
histoire." C'est là aussi qu'Eyabe se réfugiera une fois
sa mission accomplie, rejointe par Ebeise. Un îlot de paix, assourdi par
l'écho du tumulte extérieur et l'effroi de ce que chacun a vu
ou subi, où chacun, confronté à l'effondrement brutal de
son monde, en mémoire envers les siens et sa communauté originelle
disparue, apporte des ingrédients de sa culture, ses croyances, sa langue.
Soudés les uns aux autres par l'impératif de survivre, portés
par la nécessité d'inventer ensemble, au-delà de leurs
différences, un nouveau mode de vie, ils s'engagent dans un lent processus
de réparation individuelle et de refondation sociale, conjuguant toute
leur énergie pour se construire un avenir possible. Le texte de Léonora Miano se déroule comme une enquête,
sur un rythme lent, avec d'assez nombreuses incursions dans l'univers des croyances
et des règles sociales des communautés en cause. Cela peut rendre
le début un peu laborieux pour le lecteur européen mais permet
à l'auteur de montrer, à l'heure où la collaboration des
Africains à la Traite Atlantique fait débat, comment ce commerce
s'est abattu sur des communautés naïves, repliées sur elles-mêmes
et incapables de comprendre ce qui leur arrivait. Une population devant faire
face, du jour au lendemain, à une situation inconnue, imprévue
et incompréhensible. Des êtres simples, dépourvus du moindre
pouvoir sur les événements dont ils sont victimes. L'originalité de ce roman est de ne pas s'appesantir sur le commerce
d'humains lui-même ou ceux qui furent victimes des enlèvements
mais de nous donner à voir les événements de l'intérieur,
avec le ressenti de la communauté touchée. Dire la peur du village
de voir le sort s'acharner sur leur petite communauté, la crainte d'une
vengeance divine là où il n'y a en fait que marché triangulaire
international. Évoquer le sort de ceux qui sont restés sur la
terre ferme et mettre à nu leurs sentiments d'incompréhension,
de terreur, de douleur mais aussi de culpabilité car " en définitive,
tout peuple a une part même minime de responsabilité dans les malheurs
qui lui arrivent." (Léonora Miano) Mais si la traite négrière (terme jamais employé dans
le texte, puisque pour les protagonistes les notions même de race, couleur
de peau ou pays n'ont pas de sens) est le thème majeur de ce livre, ce
n'est pas le seul. Deux autres sujets affleurent très vite : la question
de la souffrance et du deuil impossible de ceux qui sont confrontés à
la disparition d'un être cher, quelles qu'en soient les circonstances
mais sans avoir le moindre élément de la réalité
des faits, qui confère à l'ensemble une certaine universalité,
et celle de la disparition d'un monde ancestral plus proche du naturel que du
surnaturel au profit d'un univers nouveau où les hommes et l'intérêt
font loi. C'est de façon générique sur les notions mêmes de
disparition et de recréation que La saison de l'ombre s'organise. "Le meilleur moyen de rendre leur humanité aux déportés
subsahariens du trafic négrier est de rappeler qu'ils avaient une mère,
une épouse. Redire cette chose simple: quelqu'un connaissait leur nom
et les aimait. Ils n'ont pas vu le jour dans une cale de navire. Ils étaient
des individus, parce qu'ils étaient reliés à d'autres personnes,
à une communauté." (Leonora Miano sur Transfuge Dominique Baillon-Lalande (10/10/13) |
Sommaire Lectures Grasset (Août 2013) 240 pages - 17 € Prix Femina 2013 (Février 2015) 256 pages - 6,95 €
Visiter le site de l'auteur : www.leonoramiano.com Découvrir sur notre site un autre livre du même auteur : Contours du jour qui vient |
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