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Édouard LOUIS


Histoire de la violence



Le titre qui suggère un caractère général, est l’histoire d’un moment de violence – viol et tentative de meurtre – le temps d’une nuit. Mais l’analyse qui en est faite tout au long du récit qui nous propose réflexions, questions, hypothèses, a cette pertinence qui nous mène vers l’universel.

Car l’auteur veut comprendre pourquoi une telle folie meurtrière a pu se déchaîner. Il la raconte cette nuit et ce qui a suivi, avec une pudeur accrochée à un réalisme poignant.

Au début du roman, car ce récit en seize chapitres est dénommé ainsi, nous apprenons ce qui est arrivé à l’auteur, le personnage principal de cette histoire, à travers les propos de sa sœur au moment où elle en informe son mari.

« Je suis caché de l’autre côté de la porte, je l’écoute, elle dit que quelques heures après ce que la copie de la plainte que je garde pliée en quatre dans un tiroir appelle la  tentative d’homicide , et que je continue d’appeler comme ça faute d’autres mots, parce qu’il n’y a pas de terme plus approprié à ce qui est arrivé et qu’à cause de ça je traîne la sensation pénible et désagréable qu’aussitôt énoncée, par moi ou n’importe qui d’autre, mon histoire est falsifiée, je suis sorti de chez moi et j’ai descendu l’escalier. »

Il constate ainsi que cet évènement ne semble plus lui appartenir, raconté de cette façon, avec les mots de sa sœur. Ce qui s’était également produit la nuit où il avait porté plainte. « Je ne comprenais pas ce soir-là comment mon récit pouvait ne plus m’appartenir (c’est-à-dire qu’à la fois j’étais exclu de ma propre histoire et que j’y étais inclus de force puisqu’on me forçait d’en parler continuellement, c’est-à-dire que l’inclusion est la condition de l’exclusion, qu’elles sont une seule et même chose, et que même, peut-être, l’exclusion précède l’inclusion, du moins que l’exclusion me révélait à elle seule, et la première dans l’ordre de ma conscience, le destin dans lequel j’étais inclus, l’histoire de laquelle je n’avais plus le droit de m’extraire). »  

Et c’est ainsi avec cette narration à double entrée qu’Edouard Louis va nous amener petit à petit à partager sa réflexion. Un travail de mise en abyme, enrichi de précisions. Il n’y a pas souvent dans la littérature une telle profondeur dans l’exploration des faits, des "ressentis", du travail intérieur qui s’élabore à travers l’intelligence aiguë du sujet !

Si le lecteur  peut supposer que lorsqu’un écrivain parle de ce qu’il a vécu ou pensé, il cherche alors à en retrouver les traces, il en déduira que les reformuler, pour les raconter c’est déjà de la fiction, même si la véracité des faits n’est pas en cause.

Edouard Louis va nous faire alors comprendre que c’est la «forme littéraire» qui nous fera le mieux appréhender la vérité. Depuis la réalité vécue, partent alors pensées et réflexions, allers-retours sur les évènements, dans les propos de sa sœur, ou les souvenirs d’enfance… Et de commenter le récit que fait sa sœur à propos de ce qu’il lui a raconté. Là encore le travail de l’écrivain est astucieux : rien ne semble "artificiel" il s’agit juste de la confrontation d’une pensée avec le cheminement qui se fait.

« Il a dit qu’il partait – et même si on ne pourra jamais connaitre la vérité moi je suis certaine que tout était prévu dans sa tête. Tout ce qu’il a fait après. Tout. Et qu’à ce moment-là il allait pas vraiment partir, et que c’était du bluff, et qu’il se préparait déjà à la suite et qu’il mentait en disant qu’il allait partir (Je ne crois pas. Ou peut-être seulement le vol, c’est surement vrai pour le vol mais je crois au contraire que Reda n’avait pas prévu la tournure que prendraient les heures et que ce soir- là, ce qui n’enlève rien à la violence et à l’infernal, je crois que tout s’est succédé par tâtonnements, accidents, hésitations sans préméditation de sa part [… ]  Je crois que chaque décision prise ce soir-là, de mon côté comme du sien, rendait d’autres décisions impossibles l’instant d’après, que chaque choix détruisait les choix possibles et que plus il choisissait moins il était libre, tout comme moi pendant l’interrogatoire des policiers.) »

Alors un roman pour dire, pour montrer, pour témoigner ? Pour porter la plainte ?

Et c’est la façon dont cet évènement est relaté qui nous imprègnera tout au long de notre lecture. L’acte arrivé à son paroxysme alimentera la réflexion de tous : de l’écrivain, des personnages du roman, et des lecteurs.

Car cet auteur avait déjà impressionné les lecteurs avec son premier livre, En finir avec Eddy Bellegueule. Impressionné par ce talent particulier – et rare – qui sait donc raconter le vrai, mais ce "vrai" qui se "répercute". Avant d’En finir avec Eddy Bellegueule, Edouard Louis voulait comprendre. De même dans cette Histoire de la violence, comme il le dit lui-même en quatrième de couverture [...] « en réfléchissant à l’émigration, au racisme, à la misère, au désir ou aux effets du traumatisme, je voudrais à mon tour comprendre ce qui s’est passé cette nuit-là. Et par là esquisser une histoire de la violence. »

Belle esquisse au trait fin, aux évocations fortes des images, avec cette juste réserve dans le fond. Acrobatie périlleuse, qui force l’admiration.
Un roman, un auteur, qui nous laissent dans la réflexion et dans cette satisfaction d’avoir "vécu" un moment rare d’écriture.

Anne-Marie Boisson 
(12/05/16)    



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Le Seuil

(Janvier 2016)
240 pages - 18 €










Édouard Louis,
né en 1992, sociologue, a publié En finir avec Eddy Bellegueule en 2014.

Bio-bibliographie sur
Wikipédia


Visiter le site de l'auteur :
edouardlouis.com/







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son premier roman :


En finir avec
Eddy Bellegueule