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La narratrice prenait le métro pour rejoindre son amant au bord de la mer
quand sa route croisa le vieil homme. La femme choquée voit dans cet épisode et le décor qui
l'entoure la confirmation d'une époque sans pitié pour les plus
fragiles. "Ce monde souterrain, les drames qui s'y déroulent, les
violences qui s'y commettent me semblaient être la nuit de nos angoisses,
où tentent de dormir et de survivre ceux qui n'ont plus de place en haut.
La vie ordinaire ne les reconnaît plus, se moque de leur absence." Ce face-à-face avec la mort en quasi simultanéité avec
la perspective d'une escapade sentimentale va questionner cette relation amoureuse
complexe, éclatée dans l'espace (lui à Nantes, elle dans
la capitale) et en pointillé dans le temps, dont la précarité
lui apparaît brutalement. D'autres fantômes s'invitent à cette introspection nomade comme le grand-père disparu, un solitaire dont l'amour a permis tous les autres et qui lui a légué le goût du silence, de la contemplation et de la nature, le père emporté par la maladie sans qu'elle ait su l'accompagner. Elle retourne sur les lieux pour tenter d'en savoir plus sur cet homme dont
le sourire au moment de mourir l'a troublée et apprend que c'était
lui-même un ancien machiniste de la RATP qui venait de perdre sa femme.
Revenue chez elle au petit matin sans avoir appelé son amant pour lui
expliquer les raisons de son absence à cet hôtel de bord de mer
qu'elle avait elle-même réservé comme une fête, incapable
de lui faire le récit de sa nuit blanche, la femme laisse sur son répondeur
ce message énigmatique : "Écoute la pluie" .
Une manière toute personnelle de tenter de lui faire comprendre qu'ils
sont vivants et que l'amour aussi peut, doit, se vivre pleinement. Le décor a ici toute sa place. Les lieux (de préférence les gares, les plages qui symbolisent un entre-deux), les rues, places et plages, les chambres ou appartement, la nature et même les objets (robe verte acquise de façon impulsive et aussitôt abandonnée sur un banc, vase ébréché chargé de souvenirs sorti du placard de la cuisine), deviennent personnages à part entière. On retrouve dans ce court roman, les incursions historiques et idéologiques
familières à la romancière (notamment l'évocation
des manifestations pour le Larzac), le temps qui passe, la nostalgie et le refus
de la résignation qu'elle décline sous toutes ses formes. Le style simple et discret, l'écriture délicate et intime, émouvante et sans faux-fuyant sont d'une infinie justesse. Poétique par moment, n'hésitant pas à être crue quand cela s'avère nécessaire, la langue fouille la confusion des sentiments jusqu'au trouble le plus profond. Musicale, la pluie omniprésente vient, en écho à la chanson de Barbara, bercer le lecteur avec une infinie mélancolie. Un roman fort et lumineux, à partir du voyage intérieur d'une narratrice au nom inconnu qui effeuille le livre de sa vie, semant au vent des questions sur l'amour, la lutte, le désir, la mort et la société qui nous entoure dans une errance toute en ombre et lumière, cinématographique, à la manière de Patrick Modiano que l'auteur admire tant. Un livre habité et sensible, dense et bouleversant, sur le monde et l'urgence de vivre. Superbe ! Dominique Baillon-Lalande |
Sommaire Lectures Sabine Wespieser (Février 2013) 112 pages - 14 €
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