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Bertrand LECLAIR


La Villa du Jouir


[…] il m’arrive, le soir, dans ma maison, de me caresser en pensant aux hommes qui tournent en rond, en dessous, qui tournent fauve, qui entendent mes talons sur le carrelage, imaginent mes jambes, les remontent en pensée, qui se branlent sauvagement, les yeux fermés sur leur propre cinéma dont je suis la reine…

La villa du jouir est un roman pour jouir, un livre qu’on ne tient que d’une main, mais c’est un roman érotique qui culbute le genre parce que, et c’est rare dans la littérature pornographique, c’est un homme, un écrivain, peut-être veut-il se faire l’émule de Sacher-Masoch, qui se soumet au bon plaisir d’une femme. Marc va accepter de devenir prostitué dans une villa dédiée au plaisir, île-forteresse dirigée par une Princesse nigériane, richissime par son oligarque de mari très complaisant et/ou complice. Parce qu’il est accro sexuellement à l’une des rabatteuses de la Princesse puis à la Princesse elle-même, parce que le cachet qu’on lui propose pour y rester et y écrire des récits érotiques lui donne soif, parce que c’est un personnage de papier que l’on va froisser avec hardiesse, Marc va accepter de venir à la Villa du Jouir. La Maîtresse du lieu l’a baptisé ainsi en pensant à la dernière adresse de Gauguin. Sur l’île de Hiva Oa, le peintre avait appelé sa maison, la Maison du Jouir. Pour finir, ce n’est ni aux Marquises ni dans une quelconque et obscure banlieue comme Roissy mais sur une lumineuse île grecque, peut-être l’Ile des Esclaves de Marivaux où la hiérarchie sociale est inversée, que notre bel Adonis, son nom de soumis désormais, va librement faire partie du « harem » de la Princesse. Quatre hommes, des migrants sans papiers,  partagent son sort, bien que le sien soit nettement plus confortable, son statut d’écrivain  lui conférant une chambre individuelle et son statut de citoyen européen un contrat certainement plus facile à résilier.

Marc va se prêter aux jeux érotiques qu’orchestre la Princesse pour son propre plaisir et le leur, se plaît-elle à répéter à ses « putains » mais aussi pour celui d’invités pouvant « exiger » sa participation à elle et celle de ses deux lieutenantes soumises. « Le bonheur dans l’esclavage » en quelque sorte. Pour toutes les bonnes raisons qui tournent dans sa tête tout au long de sa douloureuse / jouissive initiation : pour le fric, pour la jouissance, pour la curiosité, pour écrire, pour une bonne cause, il préfère le croire un moment, aider au Mouvement pour la survie du Peuple Ogoni dans le delta du Niger contre le grand groupe pétrolier Shell que la Princesse soutient encore en envoyant des fonds, enfin et surtout par désir, par jalousie, Marc-Adonis va séjourner, on aurait envie de dire « séjouirner » à la Villa, six semaines. Bien sûr tout ça n’est que pré-textes. Si le narrateur accepte tout ce que lui font subir ses maîtresses adorées c’est surtout pour écrire, crier son plaisir à ses lecteurs, eux aussi entrés librement dans ce bordel de luxe où les femmes dominent et apprennent aux hommes à s’ouvrir à une sexualité différente.

Sylvie Lansade 
(08/01/15)    



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Lectures








Serge Safran

(Janvier 2015)
272 pages - 17 €







Bertrand Leclair,
né à Lille en 1961, romancier, essayiste, dramaturge, journaliste et critique littéraire, a publié une quinzaine de livres.



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