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Tom LANOYE

Troisièmes noces



Pour  un passionné de lecture, quoi de plus merveilleux que la découverte d’un auteur dont on n’a encore jamais eu l’occasion d’ouvrir un livre, de parcourir une page.
Enfin un univers à explorer !… Enfin de quoi alimenter notre passion !…

En ce mois d’août parisien et pluvieux, à quelques jours de la Rentrée Littéraire, cette découverte pour moi portait le nom de Tom Lanoye avec son roman : Troisièmes noces qui vient de paraître aux éditions de La Différence.

Maarten Seebregs est un homosexuel, malade, chômeur de longue date, quinquagénaire et en deuil de Gaëtan cet être tant aimé que la mort a su surprendre. Voilà un pédigrée qui ne l’indique pas forcement à entreprendre un mariage blanc pour le confort d’une immigrée noire (Tamara). C’est pourtant à lui que s’adresse Norbert Vandessel pour qu’il accomplisse ces noces. L’entremetteur précisera toutefois : Vous vous mariez avec elle, vous habitez avec elle, vous vivez avec elle, mais touchez un cheveu de sa tête et je vous massacre.  De quoi paralyser la main devant les feuilles du bail à parapher.
Pourtant Maarten, à court d’argent, finit par accepter le marché.

Ainsi dans Troisièmes Noces nous assistons à cette cohabitation forcée entre deux êtres aussi différents que les faces d’une pièce de monnaie. Des univers aussi lointains l’un de l’autre les séparent, univers qui vont de leurs goûts sexuels, à la couleur de leur peau en passant par l’écart des années de leurs vies, etc.

Le narrateur de Tom Lanoye établit le procès verbal de cette cohabitation étayé d’humour, mais d’un humour ni grinçant ni amer, un humour jaune ; pour exemple ces passages lors des contrôles de la Police des Etrangers qui ne tarde pas à débarquer dans le doux nid d’amour de notre paradoxal couple pour établir leur légitimité : Les contrôleurs sociaux sont assis sur des chaises, à un mètre l’un de l’autre, dans mon sofa favori. Nous sommes même main dans la main. C’est la première fois que nous nous touchons. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure, je parie. Et ce qui n’ajoute rien à notre fausse désinvolture : je me vois assis là. Et Tamara aussi, évidemment. Nous sommes reflétés, main dans la main, dans la vitre qu’elle a nettoyée hier et dont elle a relevé le Luxaflex si haut qu’il disparaît derrière le cache-rail en tissu.
Et plus loin devant le lit que seule Tamara occupe : « Elle dort à votre gauche ou à votre droite ? » Je regarde la table de nuit à gauche du lit. Ils sont là. Sur un petit mouchoir. Les deux anneaux dorés que Tamara porte aux oreilles, assez grands pour orner le nez de taureaux jumeaux. Sur la table de nuit de droite se trouve son flacon de vernis à ongles. Royalement turquoise. Je remarque que, dans un geste automatique, j’ai croisé les bras devant la poitrine en cachant mes mains sous les aisselles. « Ça dépend, dis-je. Une fois à gauche une fois à droite. Son plus grand charme, c’est d’être imprévisible… »    

L’état d’âme de Maarten vis-à-vis de Tamara passe de l’exaspération à une tolérance teintée de petits moments d’harmonie, puis finalement à une réelle affection. Dans cet appartement brutalement investi par l’épouse de comédie, le souvenir de Gaëtan – l’amant perdu –, revient tel un leitmotiv dans le fil de la narration, à l’image de ces carreaux estampillés de dauphins bleus dans la salle de bains, dauphins bleus qu’il déteste et qui l’obsèdent et sur lesquels il revient souvent. D’ailleurs, l’appartement déserté par Gaëtan pour cause de décès, cet appartement que Tamara, jour après jour, investit un peu plus, apparait à Maarten voilé d’une étrange réalité, étrange réalité qu’il observe fasciné à travers le double prisme de la présence de Tamara associé à l’absence de Gaëtan.

L’action se déroule dans une ville belge, quelque part en Flandre, mais Tom Lanoye la décrit si peu qu’elle devient inidentifiable. Nous sommes ici et ailleurs, et les mœurs égoïstes, les faiblesses et la petitesse des habitants de ce microcosme nous offrent une image pratiquement universelle de notre Europe crisistique.
De même qu’existe le dommage collatéral, il y a le drame collatéral… nous dit Tom Lanoye.
Troisièmes noces par la qualité de son écriture sincère, par l’originalité de son intrigue (attention aux rebondissements), nous offre ce que nous espérons toujours dans la lecture d’un roman : nous surprendre, nous amuser, nous polir d’intelligence et nous entrainer avec impatience jusqu’à son dénouement.

Les éditions de la Différence ont déjà publié de Tom Lanoye (surnommé par nos amis belges le Stromae de la littérature), quatre romans : La langue de ma mère, 2011 ; Forteresse Europe, 2012 ; Les boîtes en carton, 2013 ; Tombé du ciel, 2013.  
Loin d’être un inconnu en Flandre et aux Pays-Bas, nous espérons que cette nouvelle œuvre romanesque traduite du néerlandais par Alain van Crugten (un traducteur n’est jamais étranger à la qualité de l’écriture qu’il s’approprie pour la livrer rutilante dans sa propre langue) permettra au public de notre pays d’offrir la place que Tom Lanoye mérite dans le panorama de la littérature internationale.

David Nahmias 
(11/09/14)    
Visiter le site littéraire de David Nahmias : Les Trompettes Marines



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Lectures








La Différence

(Août 2014)
400 pages - 24 €


Traduit du néerlandais
(Flandre) par
Alain van Crugten








Tom Lanoye,
né en 1958, est un romancier, poète, chroniqueur, scénariste et dramaturge belge néerlandophone. Ses écrits sont publiés ou joués dans plus de dix langues.


Bio-bibliographie
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