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Le roman se construit autour d'un fait divers : Richard, star du football national pendant une dizaine d'année et mis à la retraite à 36 ans, abat sa femme à bout portant plusieurs années plus tard. Richard l'immature, pris en charge dès l'enfance par des entraîneurs dévoués et protecteurs de ses dons, va tenter pendant sa réclusion de comprendre quel enchaînement fatal l'a conduit à ce geste terrible. « Ne pas avoir eu d'enfance comporte le risque de rester scotché à son niveau, le front collé au hublot. On n'a de cesse d'obtenir une seconde chance d'y retourner. » « Je ne savais rien faire de mon esprit, de ma volonté, de mon énergie, sinon courir plus vite que mes adversaires sur un terrain boueux. Non, je n'avais pas appris à vivre. » Sa fille Michelle, qui a repris la librairie de sa mère, grâce à une correspondance assidue et à l'envoi de divers romans aptes à accompagner le cheminement intérieur de son père, parvient à déverrouiller leur relation et jeter une passerelle entre eux. Au-delà de la punition méritée et revendiquée, l'isolement de la prison permettra à l'homme de tenter ainsi la reconquête de lui-même, de s'engager sur le chemin de l'acceptation et la réconciliation, pour entreprendre un lent mais indispensable processus de reconstruction. A sa libération conditionnelle, sa fille sera à ses côtés pour l'aider à se réinsérer dans le monde extérieur qu'il n'a jamais vraiment fréquenté. Il s'installe dans une petite ferme à rénover près d'une rivière qui lui prend tout son temps. Puis, quand Michelle lui demande de l'assister à la librairie pour porter les cartons et, à l'occasion, conseiller la clientèle, il partage sa vie de façon équilibrée entre la boutique et sa solitude choisie, avec une certaine forme d'apaisement, sans rien attendre de plus. Richard, l'inconséquent, le coq prétentieux, n'a au départ rien de sympathique, mais au fil des pages, l'auteur va parvenir, en entrant presque par effraction dans l'univers affectif calcifié du prisonnier, à le rendre proche. Et c'est par ce cercle des personnages secondaires qui font corps avec lui, ses parents eux-mêmes marqués du signe contradictoire des victimes devenues bourreaux, les deux figures lumineuses et aimantes de la femme et de la fille, Mahmoud le codétenu, que le héros va s'éclairer et prendre épaisseur et vie. Et si dans cette histoire de fuites, d'amour, de violence et de deuil, aucune réponse ne sera réellement apportée à l'équation meurtrière posée – puisque la jalousie, l'alcool, les fêlures de l'enfance ne sauraient tout expliquer – le glissement original opéré par l'auteur de l’accès de folie du détenu non à une impossible rédemption mais à une renaissance, vient déplacer l'axe même du récit. En rendant mot par mot sa dignité et son humanité au coupable, ce n'est pas la mort donnée qui trouve justification mais celle subie par la victime qui se transfigure en un acte sacrificiel d'amour. Il aura fallu cette manifestation paroxystique du désespoir de Richard avec pour tragique conséquence la disparition brutale de Cécile pour que se déclenche enfin cette plongée intérieure nécessaire à son salut, son équilibre et la prise en main de sa propre vie que sa femme n'avait de son vivant cessé d'espérer avec ferveur et sens du sacrifice. Et son ombre plane à ses côtés en permanence aujourd'hui comme un guide ou un ange gardien. L'écriture utilisée, sans dialogue, dense et sans respiration, colle bien au sujet de l'enfermement pris ici au propre comme au figuré. Une façon de donner corps à l'angoisse du personnage tout en le positionnant loin des épanchements et des lamentations, du côté pudique de l'ombre. Patrice Juiff, s'il fait souvent siens des sujets dramatiques, a toujours su les aborder avec la distance nécessaire, non sans empathie mais sans pathos, ni voyeurisme. Un exercice périlleux dans lequel il excelle. Patrice Juiff ici ne juge pas, ne se pare pas plus de la robe de l'avocat pour invoquer les circonstances atténuantes pour le coupable que de la soutane pour lui donner l'absolution au regard du repentir qui l'anime, il tire simplement de ce drame aussi absurde qu'affreux le constat (annoncé dès le titre du roman) que n'importe quel homme en souffrance peut se transformer dans un coup de folie en criminel. Mais il semble aussi nous dire que la vie d'un être ne peut se résumer aux quelques minutes qui l'ont fait plonger dans l'obscurité la plus épaisse, qu'une fois l'irréparable commis il reste au coupable à assumer ses actes et à apprendre à vivre avec sa culpabilité mais debout, courageusement, avec « une chance d'espérer faire le bien », peut-être, un jour. Pour ceux qui voudraient accompagner leur lecture, l'auteur signale que « deux albums musicaux ont rythmé l'écriture de ce livre : The crying light d'Antony and the Johnsons et Lovetune for vacuum de Soap & Skin ». Patrice Juiff, l'écrivain des drames et de la douleur, publie peu. Avec Tous les hommes s'appellent Richard, cela fait trois romans et un recueil de nouvelles offerts à notre lecture depuis 2003. Dominique Baillon-Lalande (23/02/15) |
Sommaire Lectures Éditions Écriture (Janvier 2015) 215 pages - 17,95 €
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