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Oriane JEANCOURT GALIGNANI

Mourir est un art, comme tout le reste


"L'air est zébré de questions sans réponse."*

Tout le récit se passe durant la longue nuit glacée du 11 février 1963, à Londres. Déchirée par de terribles tourments, la narratrice, y évoque sa courte vie, 30 années. Tout en arrangeant les derniers détails de sa mise à mort : les serviettes mouillées pour protéger du gaz ses deux enfants, 3 et 1 an, endormis à l'étage, les lettres qu'elle va poster avant l'aube, juste avant de poser sa tête épuisée dans le four à gaz, elle mêle aux souvenirs des moments clés de sa vie, le rouge flamboyant de coquelicots poussés sur un champ ravagé par la sécheresse, des éclats de ses poèmes qui illuminent ce testament apocryphe.

D'autres écrivains, cinéastes, nombreux admirateurs de la courte œuvre de Sylvia Plath se sont interrogés sur ce suicide, quand ils n'ont pas polémiqué… Si belle, si jeune, si brillante… Qui a tué la poétesse ?

Il n'y a évidemment pas de réponse et ce n'est pas le propos du roman d'Oriane Jeancourt Galignani qui en "faisant parler" la poétesse, en entrelaçant des souvenirs reconstitués de sa vie à des citations de son œuvre en italique, nous fait entendre alors, les fulgurances poétiques d'une Médée contemporaine qui mourant de vivre, du mal de vivre, de mal vivre sa vie d'écrivaine, car, comme le dit Camus "vivre, bien sûr, c'est un peu le contraire d'exprimer" surtout dans les années soixante où les femmes "doivent tenir leur foyer" et se charger, seules, des enfants, ne s'en prendra qu'à elle .

S'il n'y a pas de coupables désignés, on a le cœur serré à la lecture de cette lente dépossession. Affronter le quotidien : les tâches ménagères – "Je ne suis pas ta bête de somme, depuis des années je mords la poussière, de ma chevelure je frotte ses assiettes." –, un avortement, deux bébés, ne plus être l'aimée, la solitude, la folie et répondre en même temps à l'urgence d'une œuvre. Trop dur, trop injuste. Injustice d'un monde patriarcal surtout où les hommes, les Pères, se laissent adorer, rognent les ailes, puis s'en vont. Papa, d'abord, qui meurt quand, à huit ans, elle écrit son premier poème, et qui lui laisse un lourd relent de culpabilité, avec ses regards bienveillants pour les monstruosités faites dans son pays d'origine, l'Allemagne nazie. "Un engin, tu étais un engin qui me poursuivait comme un juif, un juif à Dachau, à Auschwitz, à Belsen..." Dieu qui ne répond plus depuis la mort de ce père adoré et haï, depuis le séjour en hôpital psychiatrique à 20 ans et enfin "la perfidie de son mari", le grand homme, Ted Hughes, le poète reconnu, celui qui valide ses écrits et devient le bourreau de son cœur : "Une affaire de meurtre sans corps"… celui qui a la rectitude du père, "toutes les femmes adorent un fasciste".
"L'amour est une ombre. Tes pleurs, tes récits ne pourront la retenir."

*Les citations en italique, ici, sont déjà en italique dans le roman et sont donc des citations de Sylvia Plath.

Sylvie Lansade 
(05/02/13)    



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Albin Michel

(Février 2013)
192 pages – 15 €





Oriane Jeancourt Galignani
est journaliste. Depuis 2011, elle est rédactrice en chef "Littérature" du magazine Transfuge et intervient dans
La Matinale sur Canal +.




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