Le narrateur, un photographe qui mène une vie bourgeoise avec sa femme et ses enfants, était satisfait, jusque-là, de sa réussite professionnelle, de son magasin qui marche bien et lui a permis d'acheter une "maison de notable".
Toutefois, on sent qu'il se lasse de ce travail répétitif qui consiste à photographier des mariages et retoucher des portraits pour fournir aux clients l'image qu'ils attendent.

Un soir, à une réunion des anciens de son école de photographie, il revoit Antoine, un camarade qui a toujours eu des projets un peu bizarres et généralement voués à l'échec. Cette fois-ci, il a signé un contrat pour aller dans la Zone Boréale photographier le grand loup noir de Polonie, une espèce considérée comme éteinte depuis vingt ans mais dont certains autochtones affirment avoir aperçu quelques spécimens.
Antoine revient avec de très beaux clichés de Polonie mais sans aucun grand loup noir car il est convaincu maintenant que l'espèce a été décimée.

Cet échec n'est pas une preuve suffisante pour le narrateur qui ne peut résister à cet appel qui l'obsède. Il n'est pas possible que ce magnifique animal ait totalement disparu.

Sylvie Huguet montre très bien l'engrenage de cette folle passion qui pousse son héros, lentement, étape après étape, à des choix radicaux pour suivre son irrésistible désir et répondre à cet impérieux appel qui, seul, donne encore un véritable sens à sa vie.

En alternance, et en italique, de très belles pages nous entraînent sur les traces d'un narrateur (le même ? un autre ?) qui se glisse dans la forêt, persuadé d'y rencontrer celui qui l'attend.
Le cerf enfui, j'ai continué à marcher sous la chute des feuilles d'or qui se détachaient des arbres, foulant la mousse élastique dont les tiges émeraude se redressaient intactes à peine étais-je passé. Un cri déchira le silence, râpeux comme le rugissement d'un fauve et bientôt suivi d'autres cris semblables. J'ai su que c'était le brame du cerf, qui défiait ses rivaux et appelait les biches. J'avais pénétré au cœur de la vie forestière, où s'élabore le jeu des combats et du désir.
[…] Je ne sais combien de temps il m'a fallu pour atteindre la seconde clairière, celle où je devais te rencontrer.

Rêve ou réalité, la survie du grand loup noir de Polonie est-elle, comme les moulins de Don Quichotte, une chimère née de la folie d'un être submergé par sa passion ? C'est la question qu'on se pose au fil des chapitres de ce très beau livre où la poésie le dispute au roman d'aventures. Une lecture idéale pour les amoureux de la nature, où la force des mots et des images traduit avec une grande justesse la puissance des émotions.

Serge Cabrol 
(22/07/14)