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Naomi HIRAHARA


La malédiction d’un jardinier kibei



En préambule, l’auteure,  Naomi Hirahara nous précise :
« Le matin du 6 aout 1945 à huit heures et quart, une bombe atomique est larguée sur la base navale de Hiroshima, au Japon.
Environ cent quarante mille personnes sont tuées sur le coup ou mourront au cours des mois suivants.
Au moins deux cent dix mille survivent néanmoins.
Plus de cinq cents d’entre elles finiront par retourner vivre là où elles sont nées : aux Etats Unis. »
Le terme « kibei » désigne ces personnes d’origine japonaise qui ont grandi au Japon et sont retournées vivre aux Etats Unis.

« Juin1999
C’est au magasin de tondeuses à gazon de Tanaka que tout commença, du moins cette fois-ci. La boutique se trouvait à Altadena, une petite ville tranquille au pied des monts violets de San Gabriel. C’était l’endroit où Mas Arai se sentait le plus chez lui. »
Masao Arai (Mas), le personnage principal de ce roman, survivant de Hiroshima, s’est installé en Californie au sein de la communauté kibei. Il est devenu jardinier comme certains de ses congénères.
Ces jardiniers avaient été employés par des particuliers ou des entreprises du sud de la Californie, mais depuis quelques années, ils étaient progressivement remplacés par des plus jeunes. Toutefois, quelques-uns, comme Mas, continuaient tant bien que mal à assurer leur existence en travaillant pour une clientèle qui appréciait leur savoir-faire.

Un jour, dans la boutique de Tanaka, un inconnu, qui semblait « tout droit arrivé du Japon » comme le supposa Mas, leur demanda s’ils savaient où se trouvait un certain Haneda. Devant les réponses évasives ou défensives, il insista : « Je travaille conjointement avec le gouvernement. Nous essayons de retrouver des données perdues. Nous pensions que Joji Haneda était mort en aout 1945, mais nous avons appris qu’il y avait un homme du même nom ici dans le sud de la Californie. »
Mas ne souhaite pas voir remonter à la surface, à cause de cet enquêteur – qui en fait n’est qu’un détective privé, comme il le découvrira rapidement – ce qu’il s’était efforcé d’oublier depuis son retour aux Etas Unis. […] Pourquoi ces secrets n’étaient-ils pas morts et enterrés – ou brulés ?
Mas avait plus de mal qu’avant à oublier les images des corps ravagés. Jadis il pensait surtout aux parties de cartes, aux courses de chevaux, et aux bouches à nourrir. Mais aujourd’hui, son esprit était comme un stupide magnétoscope qui lui passait la même vidéo en boucle.»
Mas est veuf et les relations avec sa fille qui vit à New-York sont distendues. Alors, après avoir pendant des années essayé d’éloigner les mauvais souvenirs avec l’alcool et le jeu, il aspirait à présent à une vie tranquille.

Joji et Mas, ainsi que Riki, travaillaient à la gare d’ Hiroshima le jour où la bombe est tombée. Et ce qui a pu se passer entre ces jeunes gens, reste vague, l’auteure laissant au début planer un voile d’incertitude. Cependant quelques indices viendront alimenter un suspense de plus en plus émouvant, où nous apprendrons que Mas connaît bien celui qui dit être Haneda, mais qu’il ne l’a pas revu depuis trente ans, suite à un contentieux non réglé.

Mais après la visite du détective, il se fait voler sa camionnette, son précieux outil de travail, et menacer du pire par son agresseur s’il parle d’Haneda. Ce qui va l’entraîner à chercher les raisons de cette agression, afin d’en découvrir le véritable mobile. Quelque temps plus tard, c’est la compagne d’Haneda qui est elle-même battue à mort par un inconnu. Les amis de Mas sont là qui vont le soutenir à leur manière. Haruo, son meilleur ami, et Tug Yamada, anciens compagnons, joueurs comme lui, à présent assagis.
Ils vont organiser une nouvelle partie de cartes et revoient Riki. Qui disparaîtra ensuite.
Mas venait de faire la connaissance d’un jeune homme, Yuki Kimura, accompagné de sa grand-mère, qui arrivaient du Japon pour retrouver les traces de leur famille. « Mas cligna des yeux. Cette dame ressemblait à n’importe quelle Japonaise de sa génération. Mais dès qu’elle s’exprima, il vit aussitôt apparaître les vestiges de son passé. Akemi Haneda». La sœur de son camarade Joji. Il va alors décider de l’aider, elle et son petit-fils, malgré les secrets, malgré les sentiments complexes… tissage de loyauté et de culpabilité.

Car la vérité va apparaître dans le déroulement des évènements, mais aussi grâce aux nuances et sous-entendus qu’il faut entendre. Avec les nombreux retours en arrière – Mas a soixante-neuf ans – qui vont éclairer progressivement la personnalité des protagonistes.
Alors "malédiction"… ou fatalité ? « Rien n’était permanent dans la vie : les amis allaient et venaient – il arrivait même que certains disparaissent dans un nuage de fumée noire –, les épouses tombaient malades puis mouraient; les enfants quittaient la maison. »

Mais ce n’est pas seulement la peinture précise des caractères ou des moments forts de ce roman qui suscite l’intérêt du lecteur, mais le fait que ce récit est enrichi de détails sur le mode de vie d’une communauté, communauté qui a rarement eu l’occasion d’être décrite.
Et il s’agit aussi d’un roman policier. Parce qu’il y a un crime, des suspects, un mobile et une intrigue ficelée dans le passé...
L’écriture en est claire, les dialogues vifs et structurés afin que l’on sente toutes les facettes de ces personnages que ce soit dans leur ambiguïté ou leurs faiblesses, comme dans leur humanité... Au début, si le lecteur est surpris par certains mots japonais (il en trouve la traduction à la fin du livre) ceux-ci seront vite appris, voire intégrés. Naomi Hirahara offre alors la prononciation de quelques mots : ainsi Mas Arai et ses amis ne disent pas "je" mais "ju", ne prononcent pas dollars mais "dollaa". Ce qui permet au lecteur de mieux "entendre" les dialogues.
Le suspense est finement travaillé, et après avoir repéré les soubassements devenus de plus en plus visibles dans la construction de cette histoire, le lecteur en comprend alors toute la dimension dramatique.
Naomi Hirahara a donné là un très intéressant moment de lecture et d’immersion dans une communauté mal connue. Le récit suscite l’attention constante du lecteur car la curiosité est éveillée et l’émotion nourrie… Et même si le "nuage noir" plane encore dans le ciel de ce récit, les notes d’espoir deviennent visibles.

Anne-Marie Boisson 
(17/10/15)    



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Noir & polar









Éditions de L'Aube
(Septembre 2015)
320 pages - 21 €



Traduit de l'anglais par
Benoîte Dauvergne









Naomi Hirahara
née en Californie en 1962, est fille de kibei.
La malédiction d'un
jardinier kibei
est
le premier volume
traduit en français
de la série des
mystères de Mas Arai.


Bio-bibliographie
(en anglais)

sur wikipédia

ou sur le site de l'auteur :
www.naomihirahara.com