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Les parents ont quitté le village de Galice où ils sont nés pour s'installer à Oran et y fonder une famille : trois enfants, deux survivants dont Octavio, le narrateur. L'enfant grandit dans cette Algérie française au carrefour des cultures coloniale, juive et arabe, entre une mère discrète et attentive, un père autoritaire et renfermé, un frère aîné brutal avec lequel il a une relation compliquée. C'est à l'étage du dessous, auprès de la petite Judith et de sa famille séfarade, qu'il passe le plus clair de son temps. Il gardera toujours de cette période un souvenir ébloui et un amour inextinguible pour celle qu'il considère comme la femme de sa vie. Mais en 1955 laissant la jeune fille derrière lui, le jeune homme, doué pour les études, part à Paris pour intégrer l'université de la Sorbonne. L'étudiant se lie rapidement avec un voisin, lui-même étudiant en paléontologie, qui l'introduit dans le milieu des militants communistes. Alors que par manque d'argent, Octavio ne peut rejoindre les siens en Algérie
pour l'été, il apprend par courrier le mariage de Judith avec
son frère. Une trahison incompréhensible dont il ne se remettra
pas et qu'il tente de noyer dans un engagement de plus en plus radical. Des
désaccords profonds au sujet de l'indépendance algérienne
parasitant sa relation amicale avec Denis et le groupe communiste qu'ils fréquentent,
c'est naturellement chez le groupe des étudiants algériens indépendantistes
que celui que les policiers français prennent régulièrement
pour un Arabe trouve refuge. Après un temps d'observation, il se retrouve convié à une réunion du FLN, est séduit par leur détermination et leur lutte, y découvre les principes de fonctionnement et la discipline indispensable à la survie d'un tel réseau clandestin. C'est à Nordine, jeune ouvrier avec lequel il se liera d'amitié, que sera confiée son initiation. Octavio est une bonne recrue qui apprendra vite l'art de détourner les filatures policières, de flairer les chausse-trappes, de communiquer par code, de jouer les agents de liaison en toute discrétion. Chargé de transmettre enveloppes de documents et valises d'armes sans poser de question au bon destinataire, il sera un "porteur de valise" très sollicité. Une place d'adhérent actif au service de la cause mais en marge de l'opérationnel, qui lui convient parfaitement. En 1957, le frère policier est muté à la Goutte d'Or et le couple s'installe en métropole. L'occasion pour lui, en droite ligne des idées du père, de rallier rapidement l'OAS. Quand, à la même période, Octavio est appelé sous les drapeaux, Nordine lui trouve une planque au cur même du bidonville de Nanterre dans la boue, le froid et la misère. Logé chez une famille de militants durement frappés, il y découvrira aussi la peur, la haine, les descentes meurtrières de la police française, les scènes d'humiliation et les séances de torture, la mort mais aussi la réalité de l'immigration algérienne et l'ambiguïté de certains face à l'Algérie. Le doute s'insinue et les questions se bousculent... "Qu'est-ce qui fait que l'un soit mené au sacrifice de soi, à la lutte commune, au mouvement de la cauchemardeuse Histoire ? Et pas l'autre ?" Puis le FLN frappe lors de la nuit rouge d'Août 1958. "Il fallait
profiter de cette France déstabilisée par l'arrivée de
De Gaulle. Il était temps de redonner du souffle à la lutte en
Algérie, cassée par les paras de Massu. L'objectif était
de créer un climat d'insécurité en France. [...] C'est
après coup que je découvris l'ampleur et la violence du FLN, cette
nuit du 25 Août. [...] La répression qui suivit fut à la
mesure du coup de semonce que le FLN avait envoyé à la nouvelle
république mise en place par les gaullistes : couvre-feu, contrôles
renforcés, arrestations préventives, chasse au faciès,
ratonnades, l'engrenage de la trouille était enclenché."
Déstabilisé et rongé par la maladie, Octavio, un soir de décembre 60, craque et se réfugie chez son frère. C'est avec une certaine réticence et avec inquiétude que celui-ci lui accorde l'hospitalité. Comme il cumule les heures sup pour faire la chasse aux Algériens, Judith et son fils se retrouvent souvent seuls avec l'intrus. Une certaine nuit d'octobre 1961, alors que le policier participe à la répression sanglante d'une manifestation d'Algériens transformée en piège par Maurice Papon, Judith et Octavio se laissent aller à l'amour qui les lie depuis toujours. Pendant ce temps : "Les manifestants arrêtés sont rassemblés les mains en l'air. Le service d'ordre a réquisitionné des autobus pour les diriger vers le Palais des Sports, centre de contrôle d'identité. Ils étaient 20 000, 11 538 seront appréhendés." Bilan officiel de la manifestation : 7 morts, mais ce serait au moins 150 corps qui auraient été retrouvés dans la Seine, admet-on aujourd'hui. Pour les amants enfin réunis, s'ensuit une courte période d'idylle clandestine jusqu'à ce qu'Octavio soit hospitalisé d'urgence... Le récit de Lancelot Hamelin prend la forme d'un journal éclaté et non chronologique, tenu de 1955 à 1962 où les souvenirs intimes se mélangent aux considérations historiques et aux citations politiques. Des fragments qui croisent histoire d'amour et Histoire, avec les thèmes du doute et de la trahison qui traversent l'ensemble. Le présent du récit se situe en 1961. Sur fond historique, le récit évoque la guerre d'Algérie sous son aspect peu abordé de sa présence sur le territoire métropolitain. L'auteur cherche à travers sa narration à dénouer l'écheveau des sentiments, des égarements, des reniements des uns et des autres. À travers l'histoire fiévreuse d'Octavio, il confronte les convictions et l'horreur des exactions commises dans les deux camps dans un face à face sans vainqueur. Le titre fait référence à la répression policière violente de la manifestation pacifique d'Algériens venus protester contre le couvre-feu imposé par Maurice Papon, Préfet de Paris de l'époque, en octobre 1961. Mais le roman évite de n'être que l'illustration d'une thèse historique : celle de l'inéluctabilité de l'accès à l'indépendance de l'Algérie. En faisant porter les idées et les choix par des êtres humains en proie au doute, fragiles et paradoxaux, Lancelot Hamelin parvient à aborder toute une palette de sujets périphériques : les contradictions présentes dans le milieu des militants de gauche (notamment ceux du Parti Communiste Français) de l'époque, l'obstination aveugle et la violence de l'État français, les manipulations des populations immigrées par le FLN, le racisme des deux bords, l'esprit d'une période où anticolonialisme et révolution allaient de paire. Le long passage sur le bidonville de Nanterre, éclairé par un
regard humaniste et retranscrit avec réalisme, est composé d'une
centaine de pages parmi les plus fortes. "Vivait dans ce douar de bidons
un peuple comprimé, un peuple lui aussi bidon, déplacé
et chassé d'un pays où les ancêtres avaient été
violentés par les bombes dans le repos même des cimetières,
les chenilles des blindés, le napalm et le cri de leur descendance. Dans
ce pays où ils avaient été jetés, et où la
liberté n'était pas pour eux, c'était ici que les Algériens
trouvaient un refuge." Avec un style alternativement lyrique ou documentaire, il happe le lecteur
et c'est avec le plein d'émotion et l'impression d'avoir plongé
dans les arcanes d'une période complexe mais intense qu'on referme le
livre, troublé. Dominique Baillon-Lalande (30/04/13) |
Sommaire Lectures L'Arpenteur (Septembre 2012) 400 pages - 21,50 €
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