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Jean-Michel GUENASSIA

La valse des arbres et du ciel



Marguerite Gachet, la fille du fameux Docteur Gachet, ami et médecin des peintres impressionnistes, nous livre le carnet qu’elle a commencé à écrire le jour anniversaire de ses dix-neuf ans, « le mercredi 19 Mars 1890 ».

Ces quelques mois intenses qui ont décidé de sa vie. Sa rencontre avec la peinture de Vincent Van Gogh, sa relation amoureuse avec l’artiste. L’auteur, Jean-Michel Guenassia, nous brosse ainsi par le truchement de ce carnet intime le portrait d’une jeune fille, et sa version romanesque des derniers mois de la vie du peintre à Auvers-sur-Oise. Il nous fait part aussi de ses réflexions sur la bourgeoisie locale et en particulier évoque des aspects méconnus du caractère du Docteur Gachet.

En cette fin de siècle, les femmes ont peu de droits et si cette jeune fille vient d’obtenir son baccalauréat, elle ne peut prétendre à un autre avenir que celui décidé par son père : « J’ai obtenu mon baccalauréat avec les félicitations du jury et maintenant je me morfonds. Chaque journée est plus monotone que la précédente. Il n’y a rien pour égayer mes jours, aucune espérance, si ce n’est de finir bourgeoise confite dans son salon à surveiller si la bonne a bien astiqué les meubles ou préparé un repas suffisant pour contenter l’individu que mon père me proposera d’épouser. Dans mon intérêt bien sûr. Mais comme par hasard, celui vers qui me poussera son désir arrangera sacrément les siens. »

Apparaît ainsi dans ce petit extrait, cette précision quant au caractère calculateur du Dr Gachet, indication qui semblerait détruire sa légende, mais qui va également nous préparer à ce que nous allons progressivement découvrir.

Marguerite montre déjà une envie d’indépendance, et surtout une révolte face à ce qui était alors le sort des femmes, car même avant d’avoir rencontré Vincent Van Gogh, elle projetait de s’enfuir en Amérique, si elle ne pouvait se libérer du joug paternel.

Elle peint, dessine, mais prend conscience : « dans mes tableaux il n’y a aucune invention, aucune légèreté, comme si du plomb coulait de mon pinceau. Je déteste ce que je peins mais je suis impuissante à me dépasser […] J’excelle dans la copie des maîtres, je fais du Raphaël à s’y méprendre et du Fragonard à la chaîne. »

Et comme sa condition de femme lui interdit d’entrer aux Beaux-Arts : « Peut-être les hommes redoutent-ils de perdre leur domination, si nous pouvions nous confronter à eux. »
Vincent Van Gogh, est venu s’installer à Auvers-sur-Oise, dans une petite auberge et sur les conseils de son frère Théo, doit consulter le Docteur Gachet, sensé lui prodiguer soins et conseils.

Au cours d’une de ses promenades dans la campagne, Marguerite le rencontre et c’est le choc qu’elle rapporte ainsi : « Je suis à quatre mètres de lui, quand la foudre me frappe. Ou une gifle monumentale. Ou un tremblement de terre qui m’engloutirait. Quel mot existe-t-il pour exprimer le choc que j’éprouve en voyant pour la première fois un tableau de Vincent ? […] : ce sont les blés et les arbres qui vibrent comme s’ils étaient vivants et passionnés de vivre, avec le vent qui les bouleverse, le jaune qui s’agite de partout et le vert qui tremble. »
Elle est alors fascinée par la force de cette peinture qui la bouleverse, et va devenir amoureuse de l’homme, qu’elle nous décrit comme passionné, d’humeur parfois changeante, mais délicat et gentil, et pour qui la peinture est l’unique préoccupation. Il a des sentiments pour elle, une vraie tendresse, mais tout en l’aimant ne lui cache pas que : « La seule chose dont j’ai envie, c’est de peindre, tout le temps, jour et nuit, rien d’autre et cela demande une telle énergie que je n’en ai plus pour le reste, il ne faut pas m’en vouloir Marguerite, mais je n’ai rien à donner aux autres que les tableaux. »

Marguerite l’accepte, le comprend et ne l’admire pas moins. Elle mentionnera plus tard: « Quand j’y repense, je suis effarée des affabulations qui ont été écrites sur Vincent, les fadaises sur son état mental ou sa santé. La foule se délecte des clichés colportés par les ignorants qui font bloc comme les moutons d’un troupeau et se repaissent avec délices de cette légende d’artiste maudit qui n’est qu’une imposture. Ne leur en déplaise, en ce mois de juillet, Vincent se portait mieux que jamais, il n’était ni dépressif, ni pessimiste, ni angoissé. Au contraire, il débordait de projets. »

Il s’agit ici d’un roman et cette version inédite des derniers mois de la vie du peintre est non seulement émouvante mais convaincante. Une fiction que ce carnet ?

Mais c’est ainsi, de cette très sensible manière que Jean-Michel Guenassia nous amène à nous interroger non seulement sur le suicide du peintre, mais aussi sur le sort de certains de ses tableaux. Les éléments découverts depuis sa mort, viendraient-ils ainsi étayer cette nouvelle réalité décrite ?

Car l’auteur interroge aussi l’histoire, la cupidité du Docteur Gachet, par exemple, n’étant que le reflet de cette société bourgeoise et frileuse.

Au cours du roman, l’auteur parsème le récit de Marguerite d’articles de journaux, sorte de clins d’œil parfois provocants, venant accentuer ou dévoiler la complexité de cette époque.

C’est un vrai plaisir de lecture que ce roman. D’une écriture fine et profonde, ce récit riche en émotions artistiques est percuté par de nombreuses questions et réflexions.

Et cette verve romanesque nous entraîne sur un chemin que nous aimerions bien continuer à parcourir.…

Anne-Marie Boisson 
(26/09/16)   



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Lectures








Albin Michel

(Août 2016)
304 pages - 19,50 €







Jean-Michel Guenassia,
né en 1950 à Alger,
a obtenu le Prix Goncourt des lycéens 2009 pour
Le Club des Incorrigibles Optimistes.


Bio-bibliographie
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