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Maurice GOUIRAN


Maudits soient les artistes



Il nous manquait, notre journaliste-enquêteur "un peu" à la retraite mais qui va toujours où son instinct, allié à sa curiosité, le mène. Notre Clovis Narigou, amoureux de son littoral méditerranéen et de la garrigue où il demeure. Et se ressource.

Mais au début du roman, il est en déplacement à Lassere. Pour le magazine Temps nouveaux, il doit écrire « un article sur le plus grand mathématicien du XXème siècle, qui venait de mourir au fin fond de l’Ariège ».
Lequel, mathématicien génial, Alexandre Grothendieck avait été interné pendant la guerre avec sa mère, une anarchiste allemande, dans le camp de Rieucros, en Lozère. « C’était un camp exclusivement réservé aux femmes et à leurs gosses. » Clovis va ainsi proposer un autre article, sur ce fameux camp : « Les Français sont toujours étonnés lorsqu’on révèle l’existence de camps de concentration dans l’hexagone».

Il découvre alors qu’une certaine Valentine Bertignac une habitante de Marseille qui, justement, « réclamait à cor et à cri une dizaine de toiles de maître qui auraient été volées à son père juif durant la guerre » avait également séjourné dans ce camp. Il va donc poursuivre ses investigations et rencontrer son fils Antoine, qui lui confirme que certaines œuvres (de Beckmann et de Munch, entre autres) « qualifiées d’art dégénéré avaient été confisquées par les autorités du Troisième Reich afin d’être détruites».

À l’Estaque, un vieil homme a été terriblement torturé avant d’être tué. Il ne possédait rien, la police perplexe, enquête.

De fil en aiguille et de renseignements en recoupements, Clovis va remonter dans le temps pour découvrir ce qui a pu se passer chez les marchands de tableaux, experts, ou amateurs sincères, pendant et après la dernière guerre… Des épisodes se déroulant en 1925, puis en 1933 et 1937 en Allemagne, et plus tard à Paris. Il nous fera alors découvrir des faits volontairement cachés jusque-là et qui peuvent peut-être éclairer les drames récents.

Maurice Gouiran, fidèle à son habitude de nous donner des informations historiques, judicieuses et rapportées avec rigueur, nous propose ici quelques éléments où l’horreur future n’était pas encore mesurée et où certains marchands d’art concevaient quelques illusions.

Dans le Nord de Marseille, le couple Bertignac vient d’être assassiné.

Nous percevrons toute la pertinence des faits relatés, plus tard dans l’explication des crimes. Et à l’occasion, nous pourrons voir comment l’art peut subir les caprices des dictatures et autres terrorismes politiques, surtout lorsqu’il est précurseur, pour être considéré comme "décadent", Hitler ayant dit qu’il « débarrasserait la vie allemande de ces mots creux : cubisme, dadaïsme, futurisme, impressionnisme... »

L’enquête locale se poursuit à Marseille…

Pour nous détendre, nous les fans de Clovis, Maurice Gouiran nous invite alors à partager, le quotidien de son héros à la Varune, sa maison-bergerie. Le fils de Clovis est venu passer quelques jours de vacances avec sa compagne, mais il est accompagné cette fois par des amis parisiens avides de se « ressourcer » auprès des chèvres et profiter de cette hospitalité méridionale et bon enfant.
La semaine de congé des Parisiens, comme la durée du roman, est racontée au jour le jour et, pour notre plaisir, bien assaisonnée par l’humour de Clovis à propos de l’attitude de ces hôtes :
« Le souper ? a relevé Marie-Do.
Dans son sillage, les Parisiens m’ont pris la tête avec leur terminologie. Il a fallu que j’explique qu’en Provence on déjeune, on dîne et on soupe. Que nous sommes restés fidèles aux noms originels. Le premier repas de la journée, celui du matin, ne permet-il pas de rompre le jeûne ? De déjeuner ? Depuis le règne de Louis XIV, le reste de la France petit-déjeune, déjeune et dîne. Pas nous. […] Je lui ai récité "Déjeuner du matin" de Jacques Prévert qui n’était pas, selon mes informations, né du côté de l’Estaque ou de Mazargues. » 

Mais chez Maurice Gouiran, rien n’est mentionné par hasard, ou simplement pour nous distraire ou même nous dérouter, car il est très malin, tout comme son personnage… Nous apprendrons donc le sort réservé aux tableaux des peintres considérés comme « dégénérés » par les nazis, ces marchandises négligeables mais officieusement rentables… Et pour mentionner à nouveau ce fameux hasard, la belle Marie-Do raconte à Clovis que son « grand-père bossait au Musée du Louvre lorsque les Boches entrèrent dans Paris ».

Ainsi se préciseront certains points un peu obscurs jusque-là : « Elle me raconta que dès le 30 juin 1940 Hitler avait ordonné de sauvegarder c’est-à-dire de confisquer les objets d’art appartenant à des juifs. » Et non pas de les détruire

La suite est tout aussi savoureuse, et piquante. Maurice Gouiran nous permet de connaître, au fil des informations qu’il nous transmet, une page peu lue de notre Histoire… Comme dans tous ses romans, il lie ainsi un fait ancien souvent passé sous silence à une enquête criminelle actuelle menée avec finesse et sagacité.

Une lecture intéressante, documentée, et l’écriture de cet auteur est toujours aussi puissante et rigoureuse, colorée par cet humour si reconnaissable… et tellement bienfaisant !
 
Alors, nous les fans de Maurice Gouiran, nous ne pouvons qu’attendre son prochain roman, en s’imaginant siroter en sa compagnie une "mauresque" au Beau Bar… On peut bien rêver !

Anne-Marie Boisson 
(29/07/16)    



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Noir & polar








Editions Jigal
(Février 2016)
232 pages - 18,50 €










Maurice Gouiran,

auteur d'une bonne vingtaine de romans, voit désormais ses livres sélectionnés dans la plupart des prix du Polar.


Bio-bibliographie
de Maurice Gouiran
sur wikipédia













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