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Maurice GOUIRAN


Les vrais durs meurent aussi



Nous revoilà à Marseille, à l’Estaque, près de cette garrigue que Maurice Gouiran sait nous faire ressentir… où nous allons retrouver son récurrent héros, Clovis, journaliste – en principe – à la retraite. Un personnage si attachant que nous réalisons qu’il nous a manqué depuis notre dernière lecture. Et puis, le Beau Bar, avec ses habitués, Biscottin le camarade de Clovis, et cet accent que l’auteur nous écrit phonétiquement, au cas où nous n’en serions pas familiers. Car il nous glisse ses « tégévé », ses « ouèbe », ou un « Vouielle » retentissant, avec bien d’autres cerises sur ce gâteau composé de bon sens méridional et de patois musical ! Viennent aussi les parfums de « la bouille » dont il faudra bien connaître la vraie recette et comprendre que la préparation n’accepte aucune variante, Biscottin le précisant ainsi à Clovis : « Tu me mets surtout pas d’œuf dans la rouille ! » et plus loin : « La phase la plus délicate commence : il s’agit de piler la mixture d’une main, puis de laisser couler un mince filet d’huile tout en tournant, le temps que la rouille prenne. »

Mais ce décor vivant et dans lequel nous nous glissons si naturellement, aux côtés des protagonistes, va être cette fois encore le cadre d’une histoire plus sérieuse, et plus sombre, au fur et à mesure que nous avançons dans notre lecture.
« Meurtre mystérieux à la Pointe Rouge : Le corps d’un homme de 72 ans a été découvert. » Et ensuite d’autres cadavres : « Selon des sources bien informées, les trois anciens légionnaires seraient âgés de plus de soixante-dix ans et auraient été exécutés de la même manière barbare [….] une pratique courante du FLN durant la guerre d’Algérie. »

Clovis est d’abord sollicité par Biscottin, inquiet : « Voilà… Le Polack a disparu depuis dix jours, juste après m’avoir confié cette boîte. Il m’a aussi laissé ce tableau. » Parmi ces anciens légionnaires assassinés, y aurait-il ce "Polack" qui fréquentait le Beau Bar ?
Puis un quatrième corps est découvert, et notre journaliste va alors activer son enquête… ne serait-ce que pour aider son camarade qui a peur que les assassins s’en prennent à lui.

Le récit s’agrémente alors de ces quelques coups de griffes et d’humour qui vont nous régaler, tout autant que les recettes : « A l’Estaque – qui ne mérite plus le qualificatif de plage depuis que des mecs bien attentionnés ont bétonné tout le littoral, de Corbières jusqu’aux Catalans – la chaleur reste étouffante. », avec ce style personnel : «  Le soleil calcine les façades lépreuses des rues environnantes et la moindre trace de vie semble se dissoudre immédiatement dans l’air en fusion. »

Nous poursuivons les investigations de Clovis pour tenter de découvrir ce qui pouvait relier ces légionnaires, assassinés seulement maintenant alors qu’ils devaient couler depuis longtemps une retraite apparemment paisible.
Se connaissaient-ils ? Auraient-ils eu un lien particulier ? Toujours à la recherche du "Polak", Clovis interroge les piliers du Beau Bar : «  Tu sais nous à Marseille, l’Indochine et l’Algérie on savait ce que ç’avait été. Des guerres de merde ! On avait vu les gars embarquer en treillis et débarquer dans des costards de bois. Lui, il voulait peut-être oublier. Les légionnaires étaient en première ligne. »
Mais il apprend que l’on vient d’arrêter un homme, Mourad Boualem, et que la police semble avoir terminé les investigations, car comme l’informe un ancien collègue : « Selon les flics, Boualem claironnerait même le motif de sa vengeance. » Il continue cependant ses propres recherches et rencontre Abdel Zouba, « un petit homme fripé par le soleil et le froid, courbé sous le poids des années. Zouba  m’a raconté l’histoire des légionnaires à Ighassira. »
Là encore, Maurice Gouiran nous fait part des réflexions de Clovis : « Mes pensées vont davantage vers les jeunes appelés morts pour rien que pour ceux qui se battaient au nom de leur idéal ou pour défendre leurs biens. Ces petits Français qui ne connaissaient l’Algérie qu’à travers quelques clichés ou des affichettes touristiques éditées par les compagnies maritimes ont été fauchés dans la fleur de l’âge pour satisfaire la vanité de quelques connards aux ambitions politiques affirmées. » Notre héros poursuit ses investigations, tout en nous racontant, ici et là, ses quelques moments d’intimité avec sa compagne Alexandra : « Je n’ai qu’une crainte, je vous l’avoue, c’est qu’elle se soit tirée comme les autres fois, comme à chacune de ces fois où je la négligeais pour rechercher la piste d’improbables assassins dans des histoires ou des meurtres qui ne me concernaient pas forcément. » Cependant Alexandra semble se laisser volontiers entraîner, partenaire complice et critique à la fois !

Après l’Algérie, il découvrira une sombre histoire de trésor nazi resté caché au fond d’un lac. Légende ? Réalité ? Des individus vont quand même essayer de le trouver! 

Et puis nous apprenons alors que l’assassin présumé a avoué deux autres meurtres qui se seraient passés dans le Lot-et-Garonne, dans le camp de Sainte-Livrade, avant ceux de Marseille… Y aurait-il d’autres mobiles ?

Mais surtout, contenues dans la fameuse boîte laissée à Biscottin par "le Polak" Clovis va trouver des lettres écrites à une certaine "Lê" qui révèlent l’existence d’un fils. Un autre lien ?
Vengeance ? Avidité ? Recherche d’identité ? Quels liens avec ces meurtres de vieillards ?
Nous ne sommes pas au bout de nos découvertes. Ni de ces rebondissements que l’auteur aime bien nous offrir, mine de rien, tout en nous faisant partager ses intuitions afin de nous guider progressivement vers ses déductions.
Car Maurice Gouiran a une fois de plus décidé de scruter pour les dénoncer, les épisodes peu glorieux que l’histoire a cachés ou tenté de minimiser. Un scandale humain, des exactions commises par des militaires, ou des civils, ramenés à de simples faits divers, sortes de hoquets honteux, qu’il a fallu oublier pour des raisons, disons, d’état !
Le suspense fonctionne, la psychologie des personnages est juste et fine, même lorsque le ton semble bourru. Les prises de position de cet auteur nous plaisent, qui sollicitent complicité, voire familiarité. Cet auteur nous fait rire et nous indigne, comme il sait nous faire partager son goût pour les plaisirs simples, souvent offerts par la nature, et que notre esprit réclame !
Un polar bien intéressant, où la curiosité pertinente est contagieuse.
Quant à l’écriture, elle est encore ici, une fois de plus, riche d’images et de saveurs… et nous la dégustons avec bonheur. La marque de Maurice Gouiran !

Anne-Marie Boisson 
(07/08/15)    



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Noir & polar








Editions Jigal
(Mai 2015)
336 pages - 9,80 €










Maurice Gouiran,

auteur d'une bonne vingtaine de romans, voit désormais chacun de ses livres nominés dans la plupart des Prix Polars.


Bio-bibliographie
de Maurice Gouiran
sur wikipédia













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