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Partir c’est mourir un peu, écrivait Edmond Haraucourt, un vers que Gilles Veber a complété en ajoutant : rester c’est crever doucement. Et l’enjeu du départ de Camille se situe entre ces deux vers. Elle vient d’avoir dix-huit ans et n’envisage pas de rester plus longtemps dans ce qui a été un « nid douillet » mais est devenu brutalement un morbide enfermement. Tout a basculé avec la mort de son père quand elle avait six ans. Avant, sa mère était joyeuse, aimante. Elle travaillait, allait chercher Camille à la sortie de l’école. Et un soir, avec le décès du père, tout s’est effondré. La dépression, les cachets, le sommeil... La grand-mère est bien venue s’occuper quelque temps de Camille mais elle a disparu à son tour après avoir introduit dans le foyer sinistré ce qu’elle pensait être une source de joie et de distraction mais est devenu une source d’angoisse et de paranoïa : la télévision. Le père de Camille n’en voulait pas, il l’appelait la « maudite lucarne » et en parlait comme d’un poison. La grand-mère croyait bien faire en installant un téléviseur et apporter un peu de vie dans cet appartement envahi par le silence. Camille s’est retrouvée privée de collège, réduite aux cours par correspondance, avec pour seules sorties, les courses et les promenades du chien, Toby, que son père avait offert à Camille pour son cinquième anniversaire. Toby va jouer un rôle non négligeable dans ce roman... Mais pour les cours par correspondance, Maryline a offert à sa fille un ordinateur qui, contrairement à la « maudite lucarne » par laquelle tout rentre, a été la fenêtre par laquelle Camille pouvait s’échapper. En surfant sur le net, elle a découvert des sites de voyages et les émissions de téléréalité qui lui permettaient de constater que beaucoup de gens avaient de gros problèmes. J’étais rassurée, je n’étais pas la seule à vivre différemment, à être marginalisée. Parfois après ces émissions, j’étais même soulagée, je n’étais pas si malheureuse. Et puis j’ai découvert "Yangshao Express" qui est vite devenue ma préférée. Cette idée de voyager au moindre coût en se faisant héberger chez les habitants s’est peu à peu construite en projet mûrement préparé et à dix-huit ans deux mois et cinq jours, Camille a quitté l’appartement sans un mot à sa mère, bien décidée à fuir le Nord de la France pour le soleil de Naples. Elle va vite s’apercevoir que c’est moins facile dans la vie que dans l’émission mais c’est justement l’enjeu de ce roman qui va se dérouler sur les trente-six jours qui suivent ce départ. En alternance avec les aventures de Camille globe-trotteuse, nous retrouvons Maryline, dans son appartement, terrorisée par le départ de sa fille, affolée par le peu d’enthousiasme de la police ou de la gendarmerie à rechercher une fugueuse majeure. C’est Toby, que Camille n’a pas emmené, qui va obliger Maryline à sortir et l’amener à des rencontres impensables quelques jours auparavant. Tout d’abord Sébastien, un jeune homme qui la relève lorsqu’elle a un malaise dans la rue. Il a l’air bien gentil, trop gentil. Qui est-il vraiment ? A-t-il une idée derrière la tête ? Ce roman avance ainsi, de jour en jour, avec d’un côté Camille que l’autostop amène à des rencontres plus ou moins sympathiques et, de l’autre, Maryline qui ne voyait plus personne depuis une dizaine d’années et se retrouve assiégée par Sébastien et les deux retraités... Chacune va cheminer, sortir de l’isolement où elles étaient confinées, découvrir le monde et les gens. C’est parfois douloureux mais pour le lecteur c’est souvent drôle parce que l’auteur mêle très bien l’humour et l’émotion. Un livre à la fois grave et léger qui se lit avec beaucoup de plaisir. En littérature, les occasions de sourire ne sont pas si fréquentes, ne ratez surtout pas celle-ci ! Serge Cabrol |
Sommaire Lectures Buchet-Chastel (Mai 2015) 272 pages - 15 €
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