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André FORTIN


Le crépuscule du mercenaire



Marseille, les calanques, le "milieu", un jeune délinquant, un vieil indic pas si rangé, le flic et le juge, l’argent sale, le mercenaire, la DGSE… tout y est ! Clichés ? Non. Pas chez André Fortin. La vue est intérieure, et ce qui est pensé, dit par les personnages est réfléchi, pesé et subtil. Les descriptions personnelles, simples, vécues… « Pourtant c’est une calanque, la colline domine le paysage et va se perdre dans la mer, comme c’est le cas pour toutes les calanques ici. Il y a celles du sud de la ville, les plus célèbres. Et puis celles du nord, hors la ville, comme celle-ci. Et justement cette calanque, contrairement aux autres, regarde la ville en face, à la fois lointaine et si proche. Et à cette heure-ci, la ville, rétive à l’ombre qui lui vient de la mer, s’allume, fait feu de tout bois. »

Gare St-Charles, à Marseille, une femme vient d’être bousculée par un jeune délinquant qui lui a dérobé son collier. Le juge Galtier (personnage que nous retrouvons toujours avec plaisir dans les romans d’André Fortin) lui offre son soutien. Mais dès les premières pages, c’est ce jeune voleur, Stanley, qui nous intrigue, et va nous intéresser : « Il ne fallait pas penser à tout ça, à l’enfance, l’amour aveugle, l’insouciance, la confiance, surtout. Il fallait chasser ces idées de poches de kangourous, de singes miniatures, couchés sur le dos de leurs mères ou agrippés à leurs ventres… ça ne servait à rien, c’était du passé, une période, trop courte pour lui, infiniment trop courte. »

 Il vit en foyer et voit régulièrement une psychologue avec qui il a tissé une relation de confiance. « Stanley, il y a deux choses qui ne collent pas chez toi. D’un côté ton QI, assez phénoménal je dois le dire, ce dont entre parenthèses, tout le monde se fout sauf moi et peut-être toi. Et puis de l’autre ton attitude, cette amabilité, cette politesse, ce respect des règles, au fond qu’on pourrait prendre pour de la résignation. Tout cela donne à penser, non ? Moi cela me donne à penser, pas toi ? »

Nous retrouvons à nouveau le juge confronté à une affaire de blanchiment d’argent, affaire qu’il essaie d’approfondir avec son flic préféré Juston (tout aussi présent dans les autres romans de notre auteur) : « Qu’avait à faire la CPAO, une entreprise de commerce international, qui avait son siège établi depuis plus d’un siècle à Marseille et des succursales dans la plupart des ports d’Afrique, avec une obscure société spécialisée dans les transactions immobilières sur la côte d’Azur ? C’est à partir de là que j’avais songé au blanchiment. D’autant que Nice est un haut lieu de ce genre de sport, réservé, comme le golf et le yachting, à une certaine frange de la population. »

Car, et toujours à la gare St-Charles, la mallette d’une sorte d’attaché ministériel est dérobée… et quant à  son propriétaire il reste très discret sur son contenu… 

C’est donc le juge Galtier qui parle et le récit de ses investigations en collaboration étroite avec Juston, se poursuit à la première personne. Avec, à l’occasion, un peu d’humour qui viendra émailler ses propos : « Le lendemain je lui avais demandé s’il avait passé une bonne soirée et il s’était mis à rougir comme un adolescent, tout au moins comme un adolescent de mon époque. »

Cedéroulement est interrompu par les chapitres qui vont concerner un homme, conseiller auprès de princes africains, qu’il semble surveiller, pour les couvrir ou dénoncer leurs exactions, selon les ordres d’un colonel français de la DGSE. La personnalité de ce conseiller, Marc Kervadec, va nous interpeller à son tour. « Ce qui est sûr c’est qu’il était désintéressé, c’était tout ce qu’il lui restait et il y tenait. Il pouvait à peu près tout admettre – comme, pensait-on, il pouvait tout commettre – mais ça non ce qu’il avait fait, ce qu’il faisait, il ne le faisait ni ne l’avait jamais fait pour lui, jamais ! » On cherchera à comprendre.

En octobre 1987 à Aix en Provence, il rencontre une jeune femme, Margot. « Elle est un peu folle; légère et évaporée, tout simplement. Mais émouvante, tellement émouvante. » Il va s’attacher à elle, sans pouvoir lui dire la nature de son travail ni pourquoi il ne vient la voir qu’une fois par an et sans la prévenir. Il pourra encore moins imaginer un devenir. Mais nous allons suivre cette relation en pointillés, comme lui, avec tous ces blancs. Le passé rejoindra peut-être le présent, des évènements vont s’y imbriquer sans que l’on puisse en imaginer les entrelacs, mais persistera, au fil des chapitres, un même parfum d’émotion.

L’auteur aborde alors ce qui constitue les missions de cet homme auprès des dictateurs africains, tout en réussissant à rester en équilibre au bord de certaines révélations On entrevoit une face moins connue de la "Françafrique". Une analyse ajustée…

Car dans ce roman, parfois en clair-obscur, où il est tout aussi percutant, l’auteur nous emmène doucement vers sa vision des évènements en nous indiquant que si leur logique semble implacable, elle peut aussi, en se mêlant au hasard, se combiner à des choix malencontreux. Ce qui pourrait dérouter dans un "polar". Or il n’en est rien ici, bien au contraire. Il s’agit seulement de prendre une hauteur qui vient conforter notre plaisir de lecture.

C’est un roman plein de finesse et si son réalisme nous laisse un arrière-goût un peu amer, c’est qu’il nous aura permis de réfléchir.
Une écriture alerte, agrémentée de quelques pirouettes qui viennent  à point nommé, alléger le propos.

Donc : Marseille, les calanques, le "milieu", le flic, le juge, les barbouzes…  Vérification faite : aucun cliché !

N’est-ce pas André Fortin, là, dans la voix du juge Galtier ? « Je vagabonde. Je suis bien loin des turpitudes des hommes qui nous gouvernent, de ce qui fait d’ordinaire le sel de mon métier de juge d’instruction, de ma vocation à mettre au jour et à lutter contre tout ça. Je suis aujourd’hui au plus près de l’humanité, vulnérable, souffrante et bafouée. J’examine les faiblesses de chacun et, une fois de plus, je me dis que les hommes, s’ils doivent être responsables de leurs actes, sont aussi conduits – par des circonstances immédiates ou passées ainsi que par les stigmates de leurs débuts erratiques, enfance et adolescence – à emprunter des voies de traverse, ineptes parfois, ce que le juge condamne souvent, comme le ferait tout un chacun d’ailleurs, avec une sévérité sans nuance. »

Anne-Marie Boisson 
(17/11/14)    



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Noir & polar








Editions Jigal
248 pages - 18,50 €










André Fortin,

né en 1946, a été juge d'instruction, juge pour enfants et vice-président du tribunal de Marseille. Quand il écrit un polar, il sait de quoi il parle. Le crépuscule du mercenaire est son septième roman publié chez Jigal.





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