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Florent OISEAU

Je vais m’y mettre


« D'un geste plein de maîtrise, elle a ôté tour à tour chaque sein de sa prison de nylon et les a laissés pendre pour l’éternité. J'ai frôlé le malaise, ma tension était basse. Je sentais mon cœur battre dans mes tempes, j'avais chaud, puis froid, et chaud à nouveau. Je vivais, j'étais une rock star, un moine bouddhiste, un péagiste intérimaire. […] Ma langue pesait une tonne, ma salive secrétait des hectolitres. J'avais les larmes aux yeux. »

Fred a fait sienne la devise « on perd sa vie à la gagner » mais à quarante ans ça devient de plus en plus dur d'enchaîner, très mollement, les petits boulots, surtout que Fred est franchement allergique au travail, non par rébellion au système mais par inadaptation chronique. « C'est au-dessus de mes forces. » « Je ne me lève jamais quand il faut, je ne parviens pas à choper le rythme. » C'est pareil pour les femmes. « Ça fait trois ans que je n'ai pas couché avec une femme. » Les bouteilles de pinard qu’il enquille avec un très bon rythme, pour le coup, expliquent peut-être ces handicaps.

Mais là... « Cette fois, c'est décidé, je m’y mets. De toute manière, je n'ai plus le choix, mon chômage prendra congé d'ici quelques semaines, après deux années de bons et loyaux services. Je dois d'y mettre. »
On apprend entre deux beuveries au café que Fred s'est senti très longtemps coupable de la mort de son frère.
« Rien ne m'intéressait, à part les discussions de vieilles poches au comptoir. […] Je n'avais pas vraiment de désirs, je voulais juste qu'on me foute la paix et dormir au chaud. […] À quoi bon commencer une collection de timbres alors qu’on va crever ? »

Après une première partie où le narrateur s'est encouragé pathétiquement à s’y mettre enfin, dans une deuxième partie, grâce à Marlène, une auxiliaire de vie qui a du mal à joindre les deux bouts et Cerise, une étudiante camée, il va enfin s'y mettre. Enfin il va aider Marlène et Cerise à s’y mettre. Mais Fred a peur. Il sent bien que sa petite activité de maquereau indépendant risque d'être très mal perçue et, quand sa camionnette brûle, il s'enfuit en Espagne, troisième partie du roman qui pourrait être comme la rédemption de notre héros si l'ironie du sort ne s'acharnait pas !
 
Un premier roman aux accents noirs, désenchantés, comiques "à la Benacquista", nombrilistes et déjantés "à la Jaenada", où le narrateur ivrogne, looser, faux dur au cœur de midinette court plus après une réconciliation avec lui-même qu'après l'argent ou l'amour. Un clown à la fois lucide et aveugle, tragédien de notre monde, qui va se jeter dans la gueule du loup avec le panache de la dérision. À suivre !

« La seule chose qui nous maintient en vie, c'est l'amour intrinsèque qu’on porte à cette dernière, indépendamment du fait qu’elle nous en fait baver parce que le reste n’en vaut pas la peine. Le reste, c'est les factures d'électricité, les infanticides au journal télévisé, la guerre au Moyen-Orient, la soupe à peine tiède ou trop chaude, la rencontre entre nos petits orteils et les coins des commodes... »

Sylvie Lansade 
(03/10/16)    



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Lectures









Éditions Allary

(Août 2016)
220 pages – 17,90 €







Photo © Olivier Marty / Allary éditions
Florent Oiseau
est né en 1991.
Je vais m’y mettre
est son premier roman.