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L’Incroyable histoire de Wheeler Burden, dont le titre français renvoie à l’histoire non moins incroyable et tout aussi étrange de Benjamin Button, est un roman virtuose et poignant. Selden Edwards y a travaillé pendant trente ans, autant dire que c’est l’œuvre d’une vie. La situation de départ est celle du voyage dans le temps : Wheeler Burden, ancienne star du base-ball puis du rock, devenu écrivain, a la petite cinquantaine en 1988. Il se réveille un matin, au même âge, dans la Vienne de 1897. La capitale autrichienne, en cette fin de siècle, bouillonne : c’est le temps de Klimt, de Karl Kraus, de la génération Jung-Wien. C’est aussi le temps de Freud, qui en cette année 1897 développe le concept du complexe d’Œdipe. Wheeler Burden vole un costume et de l’argent, explore son nouveau monde, se lie d’amitié avec une joyeuse bande d’artistes qui se réunit au café, et décide d’aller se présenter à Freud. Son but est avant tout matériel : Wheeler compte sur le neurologue pour lui trouver un hébergement, en échange il lui racontera son incroyable histoire. Marché conclu. Freud se passionne pour le récit de Wheeler, qu’il prend pour « le symptôme d’une hystérie complexe ». Freud est le fil rouge de la famille de Wheeler : sa mère a fait partie du groupe qui a organisé sa venue à Londres, en 1939 ; sa grand-mère a financé son voyage en Amérique et ses conférences à l’université de Clark (Massachussetts) en 1904, où le mot psychanalyse est prononcé pour la première fois. A Vienne, en 1897, Wheeler Burden devrait se retrouver bien seul, et n’y connaître personne. A part, peut-être, son cher professeur Arnauld Esterhazy, dit Haze, son mentor et protecteur lorsqu’il fréquentait la très chic St Gregory School, à Boston. Wheeler va effectivement croiser son professeur – un jeune homme désespéré par un amour non partagé – mais cette rencontre n’est pas la plus extraordinaire. Dans la Vienne de 1897, il semble que toute sa famille se soit donné rendez-vous, à commencer par son père, le héros – Wheeler a lu tous les romans de Victor Hugo. Le roman est bâti en chapitres qui font remonter le lecteur dans au moins trois temps différents : l’enfance et la jeunesse de Wheeler, la jeunesse de son père et la rencontre avec sa mère, l’histoire de sa grand-mère maternelle. Auxquels il faut ajouter, évidemment, le temps viennois, qui paradoxalement apparaît comme un temps « présent », comme la diégèse principale de l’histoire. Le père de Wheeler, Dilly, est mort en héros, sous la torture, dans les locaux de la Gestapo parisienne, durant la deuxième guerre mondiale. Lorsque le fils retrouve le père à Vienne, les âges sont inversés : Wheeler a presque cinquante ans, et son père l’âge d’être son fils. Dilly a lui aussi étudié à St Gregory, et Haze était également son professeur. Le père et le fils ont été subjugués par l’enseignement du vieil homme, et la Vienne fin de siècle qu’il leur décrivait est devenue pour eux une ville paradisiaque. Dilly en fait son refuge mental lors de son calvaire à la Gestapo – et c’est là, en partie, l’explication du voyage dans le temps : « Je pensais sans cesse à Vienne, à ta mère et à toi… Sauf que la dernière fois que je t’ai vu, ajouta-t-il avec un sourire incrédule, c’était il y a quelques semaines. Et tu avais 3 ans ». Wheeler, loin d’être seul et démuni dans une ville inconnue à la fin du XIXe siècle, se trouve bien entouré : Freud qui l’écoute ; son père mort lorsqu’il était enfant, et qui à présent discute avec lui ; les nouveaux amis qu’il s’est faits au café ; et une jeune fille plus que belle, à la fois guindée et cherchant à affirmer sa liberté, dont il tombe éperdument amoureux. Christine Bini (25/06/15) Lire d'autres articles de Christine Bini sur http://christinebini.blogspot.fr/ |
Sommaire Lectures 10/18 (Mai 2015) 600 pages - 9,60 € Traduit de l’anglais (USA) par Hubert Tézenas Paru au Cherche-Midi en janvier 2014
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