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Maurizio DE GIOVANNI


L’automne du commissaire Ricciardi



Les enquêtes du commissaire Ricciardi se déroulent à Naples au tout début des années 30, alors que Mussolini, fondateur du Parti national fasciste,  est président du Conseil du royaume d’Italie depuis 1922. Les lois que promulgue le Duce et l’état d’esprit qu’il répand dans le pays marquent l’atmosphère dans laquelle doit travailler le commissaire. L’Italie est censée être un pays nouveau où il n’y a plus de misère ni de délinquance. Les enquêtes doivent être rapides et discrètes pour ne pas inquiéter les braves gens ni mettre en cause les notables. Le premier suspect venu fait un coupable idéal, pas besoin de chercher plus loin. Difficile pour un enquêteur de faire éclater la vérité quand elle ne cadre pas avec l’image que le régime veut donner du pays.

Mais l’environnement historico-politique n’est pas le seul élément qui différencie le commissaire napolitain du Montalbano sicilien d’Andrea Camilleri ou du Brunetti vénitien de Donna Leon.  Luigi Alfredo Ricciardi souffre depuis l’enfance d’un trouble bien particulier qu’il appelle « la chose ». Chaque fois qu’il passe à en endroit où a eu lieu une mort violente il « voit » l’image des victimes et entend leurs dernières pensées. Cela lui pourrit la vie au quotidien en le maintenant en permanence dans une atmosphère morbide. Chaque promenade ou déplacement dans la ville est un chemin de croix. « Il y avait toujours une image suspendue, prête à lever les yeux à son passage pour lui rapporter les derniers instants de celui qui avait été contraint d'abandonner son existence de chair, d'os et de sang. Un billet d'adieu adressé à un unique destinataire : lui. » Chaque manifestation de « la chose »,  dont il ne peut évidemment parler à personne sans être pris pour un fou, l’enferme dans une sorte de mélancolie qui le rend distant vis à vis des autres. Personne n’aime travailler avec lui sauf son fidèle brigadier Maione qui, sans vraiment chercher à le comprendre, lui accorde une absolue confiance.

Et justement, ce qui surprend le commissaire au début de ce nouveau volume, c’est qu’en regardant le corps d’un gamin des rues mort cette nuit-là, au pied de l’escalier monumental menant à Capodimonte,  « la chose » ne se manifeste pas. Aucune ultime pensée ne s’échappe de ce petit garçon de sept ans. Cela signifie-t-il que « la chose » l’a enfin abandonné ou est-ce le signe qu’il ne serait pas à l’endroit où est mort l’enfant ? Le corps aurait-il été déplacé ? Par qui ? Pourquoi ? L’esprit du commissaire part déjà en chasse... Mais la mort d’un gamin des rues, un scugnizzo,  orphelin ou abandonné, comme il y en a tant dans les rues de Naples, n’est pas de nature à justifier une enquête. Surtout quand on apprend que cet enfant faisait partie des orphelins recueillis par un prêtre, Don Antonio Mansi, qui en héberge quelques-uns dans une maisonnette derrière la cure. Un prêtre généreux et dévoué qui n’admet pas qu’un policier vienne enquêter sur le territoire de l’église. Il saura le faire savoir à qui de droit ! Le commissaire divisionnaire Garzo dont la devise est d’être « fort avec les faibles et faible avec les puissants » s’empresse d’interdire à Ricciardi d’enquêter sur ce décès sans aucune importance. Pourquoi chercher à savoir où et comment est mort ce gamin au risque d’importuner avec d’inutiles questions un homme d’église déjà très occupé ? Le commissaire en prend acte et décide se mettre en congé quelques jours. Évidemment ces « vacances » ne seront pas de tout repos et, comme d’habitude, il ira jusqu’au bout de sa quête...

Parallèlement à une nouvelle enquête, chaque volume voit se dérouler lentement la vie personnelle du commissaire et notamment sa relation avec les femmes, avec deux femmes, surtout, que tout oppose. D’un côté, il y a la timide Enrica, qui habite dans l’immeuble en face de celui du commissaire. Chaque soir, elle brode près de sa fenêtre en se sachant observée par lui. Et lui, la contemple en admirant sa douce beauté. Ils se sont parlé une seule fois, au cours d’une précédente enquête, et la surprise de cette rencontre fortuite ne les a pas laissé exprimer ce qu’ils sont vraiment. Depuis, le rapprochement continue tout de même mais à un rythme très mesuré. La rivale d’Enrica, c’est Livia Lucani, rencontrée dans le premier volume où Ricciardi était confronté au meurtre incompréhensible du célébrissime (mais insupportable) ténor Arnaldo Vezzi dans sa loge de l’opéra. Livia, la veuve du ténor, est tombée très amoureuse du commissaire. Pour lui, elle vient de quitter Rome et s’installe à Naples. Livia est le contraire d’Enrica. Riche, déterminée, insolemment belle, courtisée par tous les hommes et proche amie d’Edda, la fille préférée du Duce. Ricciardi a bien du mal à résister au harcèlement de la jolie veuve...

Le cycle des saisons que vient conclure ce quatrième volume (sans pour autant mettre fin aux enquêtes du commissaire Ricciardi) place chaque roman dans une atmosphère particulière, le climat modifiant l’attitude des gens, les déplacements dans la ville, les bruits, les odeurs. On ne peut s’empêcher de penser à Simenon quand on lit les paragraphes décrivant les effets du froid, de la pluie, du soleil, du vent, la chaleur étouffante ou la fraîcheur vivifiante qui accompagnent le commissaire dans ses recherches. Maurizio De Giovanni peut consacrer deux pages à l’évocation d’un dimanche sous la pluie ou à l’atmosphère d’un café à l’heure du diner, cet entre-deux apaisé quand les clients de l’apéritif sont rentrés chez eux et que ceux du soir ne sont pas encore arrivés. « L'air était étonnamment limpide, à l'heure du dîner, dans les lumières du Gambrinus. Cigares et cigarettes étaient un souvenir de l'après-midi lorsque leur odeur se mêlait à celle de la pluie, au rire argentin des clientes et au tintement des petites cuillères virevoltant dans les tasses à thé. Ce souvenir reviendrait au cours de la nuit pour servir d'écran neigeux aux paroles chuchotées à l'oreille et aux tangos sensuels et passionnés dansés au centre de la salle, et admirés depuis les guéridons chargés de mignardises. Mais à cette heure-là, à l'heure du dîner, la lumière des immenses lustres de cristal jouait sur les ors et les argents des murs et des comptoirs, arrivant intacte, comme elle était partie, d'une myriade de petites lampes. »

Il est bien sûr intéressant de lire les quatre volumes dans l’ordre de publication, de l’hiver à l’automne, mais ce n’est pas une obligation. Chaque livre met en scène une enquête indépendante et la relation du commissaire avec Enrica et Livia est intelligemment présentée dans les premiers chapitres, permettant une lecture autonome de chaque roman. Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore le commissaire Ricciardi, voilà un nouveau personnage récurrent à découvrir, un enquêteur complexe et profondément humain évoluant dans un contexte aussi inquiétant que passionnant. Ses relations avec le médecin légiste, bourru et ouvertement antifasciste, ajoutent une note d’humour tout à fait bienvenue. Les quatre tomes ont paru directement dans la collection de poche « Rivages / Noir / Inédit » ce qui en fait une série financièrement très abordable.  Une opportunité dont il ne faut surtout pas se priver !

Serge Cabrol 
(20/10/15)    



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Noir & polar








Rivages / Noir

(Septembre 2015)
416 pages - 8,80 €

Traduit de l'italien par
Odile ROUSSEAU







Maurizio De Giovanni,
né à Naples en 1958, ancien banquier devenu écrivain, a obtenu de nombreux prix et, en marge de ses romans policiers, a publié plusieurs livres sur l’équipe de football de Naples dont il est supporter



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