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Racine, Phèdre (Acte II, scène 5) Kouhouesso, acteur américain d'origine camerounaise, n'a joué
que des seconds rôles mais remarqués, tant sa belle présence
est irradiante. Comme Phèdre devant Hippolyte, Solange quand elle le
voit, rougit, et pâlit à sa vue. Le destin a frappé,
on assiste au premier acte de la tragédie. Le Je t'aime moi non plus
peut commencer. Lui, la voit à peine, tout entier à son rêve
attaché : réaliser, bien après Coppola et cette fois en
Afrique, le roman de Conrad, Au cur des ténèbres.
Il va se laisser aimer, elle va le suivre sur le tournage apocalyptique de son
film, au bord du fleuve Ntem, à la frontière du Cameroun et de
la Guinée Equatoriale. Et s'il fallait lire : elle était si femme et lui si homme
comme si la différence de couleur n'était là en effet que
pour faire joli. Bien sûr ce roman évoque les horreurs pratiquées
par les colonisateurs sur le continent africain et le honteux discours d'un
petit président français sur l'homme africain mais il parle surtout
d'un malentendu, d'une aliénation. Solange ne vit plus, elle attend.
Qu'elle vive ou non avec lui, elle attend son amant, affres et délices,
lente désespérance comblée de délires interprétatifs
et de soif de mieux connaître l'autre, de gommer les différences,
combler ce qui les sépare, lit les livres qu'il a lus [
] pour
y trouver des indices, des sentiers, le plan du cerveau de Kouhouesso, la forme
de sa pensée
Solange, sur le tournage, dans la fournaise moite de la forêt équatoriale,
devient le continent noir de celui qu'elle aime : exploité, pillé,
dévasté, nié. Au contraire de ces pygmées nues qui
chantent et frappent l'eau du fleuve en cadence et refusent d'entrer dans la
boîte du metteur en scène tout puissant, elle, la femme, l'actrice,
n'existe plus que par celui qui a pris possession d'elle, son amant, son metteur
en scène, son démiurge, celui qui la fera vivre sur les écrans
noirs, les réels et elle espère, ceux de ses nuits blanches. Dans
une telle aliénation, elle ne peut être alors que flouée. Sans jamais tomber dans les clichés qu'il frôle pourtant sans
cesse avec humour, ceux du roman d'amour à l'eau de rose, le roman de
Marie Darrieussecq mélange en sourdine la musique de Duras, le désenchantement
de Sagan, la lucidité cruelle d'Une passion simple d'Annie Ernaux,
pour fabriquer un nouveau cocktail : noir et blanc, snob, amer, enivrant. A
nos amours ! Sylvie Lansade |
Sommaire Lectures Folio (Mars 2015) 304 pages - 7,50 Prix Médicis 2013 Éditions P.O.L. (Août 2013) 320 pages - 18 €
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