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Didier DAENINCKX


Caché dans la maison des fous


En 1943, Denise Glaser, juive et membre du Mouvement national contre le racisme, est obligée de se cacher des autorités. A la gare, le mot de passe « vous savez où habite Monsieur Forestier ? » sert à se rendre à l’asile de fous de Saint-Alban en Lozère, dirigé par François Tosquelle et Lucien Bonnafé, des innovateurs en psychothérapie et psychiatrie qui pensent la même chose qu’un feuillet tombé d’un livre de la bibliothèque où travaille Denise: « Ce qui caractérise la psychanalyse c’est qu’il faut l’inventer ». Denise est rejointe dans cet asile par Nusch et Paul Eluard.

            Cet asile est un lieu de résistance, c'est-à-dire un lieu d’invention. Résistance à l’occupant tout d’abord, en cachant des résistants, en soignant des partisans ou en décidant d’avoir un cas de tuberculose pour ne pas être contrôlé quand la collaboration met Saint-Alban sous surveillance, car l’autorité d’alors a encore plus peur de l’épidémie que des résistants. Résistance pour la survie de l’hôpital, du personnel et des malades : « Je crois qu’il faut regarder les choses en face Jacques […] c’est près de onze cents personnes qu’il faut nourrir chaque jour… On avait encore une quarantaine de vaches l’année dernière, avant les réquisitions de l’armée allemande. Il en reste combien ? Même pas dix !... » Résistance aussi à l’institution asilaire pour améliorer la qualité de vie des malades, peut-être les guérir, travaux avec les paysans, système de troc et de monnaie au sein de l’asile et surtout la leçon écrite sur le feuillet déjà nommé : « Alors, on l’autorise à déconner. On lui dit : « Déconne, déconne mon petit ! Ça s’appelle associer. Ici personne ne te juge, tu peux déconner à ton aise ». Résistance qui change le regard que l’on porte sur les gens et qui donc change également les gens : « [Les bonnes sœurs ] ne nous dénonceront pas parce que, grâce à nous, elles sont devenues de vraies catholiques ! »

La résistance, donc toujours l’innovation, se fait également dans les arts. Paul Eluard, dont le premier texte publié en janvier 1914 s’intitulait Le fou parle, note beaucoup les paroles des femmes : « Je les écoute […] et leur mots s’enchaînent aux miens » et définit deux périodes de création « j’ai longtemps joué avec les mots » et « j’ai eu besoin de tout ce temps pour comprendre que la poésie était le premier des arts à porter sens ». Aussi les trois premiers vers dédiés à Lucien Legros fusillé par les Allemands, énoncent : « Je dis ce que je vois/ Ce que je sais/ Ce qui est vrai ». Le dernier chapitre clôt le livre sur le mot de passe « Forestier », ce « fou » qui ramasse dans les poubelles « du bois, de la ficelle, du métal, des os de boucherie » et en fait « des jouets, des statues, des sculptures… » qu’il échange avec les adultes et donne aux enfants, le précurseur de l’Art brut.

Ce court livre est une petite histoire de l’Histoire, mais un grand moment de réflexion sur le couple Résistance/création.

Michel Lansade 
(10/09/15)    



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Lectures








Bruno Doucey

(Mai 2015)
128 pages - 14,50 €

Folio
(Février 2017)
128 pages - 5,50 €





Didier Daeninckx,
né à Paris en 1949,
est l'auteur d'une quarantaine de livres pour la jeunesse et pour les adultes. Il a obtenu le Prix Medicis en 1999 pour Mon grand appartement.



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